Fidelio, l’odyssée d’Alice
de Lucie Borleteau
Drame
Avec Ariane Labed, Melvil Poupaud, Anders Danielsen Lie
Sorti le 5 août 2015
Femmes et bateaux ne font pas bon ménage, nous dit la sagesse populaire. Gardez loin des quais, des poupes et des proues ces oiseaux de malheurs qui causent des naufrages et la perte des marins. C’est que les océans auraient peur des sirènes ? Pourtant, il est étrange de constater à quel point ce sont parfois des réalisatrices qui le mieux ont compris la mer comme en attestent dans une certaine mesure La Leçon de piano de Jane Campion ou plus récemment le magistral Still The Water de Naomi Kawaze. Cette fois-ci, c’est Lucie Borleteau qui, pour son premier film, met les voiles à bord du Fidelio pour nous raconter que femme et marin peuvent se fondre autrement que dans une étreinte dans un bordel de port.
Alice et Felix sont amoureux. Lui, bédéiste et illustrateur, elle, mécano sur des bateaux. Alors lorsqu’elle s’embarque pour une mission sur le Fidelio, cargo qu’elle connaît bien pour y avoir fait ses pratiques, c’est tout naturellement bien que le cœur en souffrance qu’elle emporte avec elle un dessin de son beau et lui toute la patience du monde pour l’attendre à quais. Mais à peine a-t’elle pris ses fonctions qu’elle croise Gaël, son premier amour et capitaine du navire. Commence alors un voyage mouvementé entre sa vie de matelot et le journal de bord du mécano mort en mer qu’elle remplace à bord du Fidelio.
Fidelio l’odyssée d’Alice est de ces films qui sont parcourus d’une âme. Borleteau filme la mer avec un mélange de tendresse et de dureté qui trouve écho dans la poésie tachée de fioul de la voix over du marin mort qui voit la vie depuis son navire. Et comme la mer, Alice (Ariane Labed, Prix d’Interprétation Féminine au Festival de Locarno) est à la fois douce et impitoyable. Elle est en même temps femme et marin : elle aime et se donne comme une femme tout en faisant partie du gang et aurait bien aussi un amant dans chaque port. Et si certains s’y méprennent et tentent de la soumettre, elle répond avec l’aplomb d’un gars de la marine. Car si elle sait dompter la mer, ce n’est pas un homme qui va l’utiliser.
Et Arianne Labed est époustoufflante en Alice, tout comme le film, d’un naturel confondant presque documentaire, sans fioriture si ce n’est un lyrisme des hommes de mer qui parcourt le film de bout en bout. La photo est majestueuse, l’homme et les femmes sont tributaires des changements de la mer autant que des changements du cœur et Lucie Borleteau met un point d’honneur à mêler les deux : passions et embruns ne sont plus que les manifestations d’une même entité traversée de part en part par un navire, tiens, le Fidelio justement. Nom très justement choisi pour ce bâteau fidèle tellement mal en point qu’il devra sûrement finir par céder aux attaques de l’Océan et de la vie.
Cette bataille entre l’amour et les passions, entre l’idéal de l’homme et ses pulsions les plus animale est au cœur de Fidelio, l’odyssée d’Alice qui montre que l’homme est capable du plus grand comme du plus petit et que dans la conscience qu’il a de sa médiocrité il peut faire naître, comme le fait Lucie Borleteau, la poésie et le grandiose.