Vivre riche
de Joël Akafou
Documentaire
Présenté dans le cadre du Festival Millenium 2018
Vivre riche est un film réalisé par Joël Akafou, sorti en avril 2017. Il s’agit du premier documentaire professionnel de ce jeune réalisateur ivoirien, âgé de 32 ans.
Le film est un véritable plongeon dans le quotidien d’un groupe de “brouteurs” d’Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. Derrière ce terme barbare se cache une technique d’escroquerie issue de la révolution numérique, dirigée vers l’Occident, qui consiste à soutirer de l’argent à des internautes, préalablement séduits, en prétextant un besoin impératif de financement – pour l’opération médicale d’un proche, par exemple. Dès la première séquence, nous nous retrouvons immergés dans un cinéma du réel, alternant entre des plans très rapprochés, filmés caméra à l’épaule et des plans d’ensemble, qui arrivent à saisir l’intimité de ces jeunes arnaqueurs. La caméra, tenue par Dieudo Hamadi, arrive à se dissoudre dans le réel, les intervenants semblent ne plus la voir (très peu de regards-caméra), elle devient caméra-participante. Ceci est d’autant plus impressionnant que le sujet est illégal et que les intervenants s’y expriment à visage découvert. Joël Akafou explique que si après la sortie de son film, les brouteurs avaient dû aller en prison, il les y aurait suivis. Ca n’a pas été le cas, le public y voyant une histoire d’humains noyés dans une structure aliénante et non la monstration d’une criminalité monstrueuse.
Nous suivons Rolex Le Portugais et ses acolytes dans les différentes situations qui composent leur quotidien : devant leurs ordinateurs, pendant leur business inter-continental, dans les fêtes qui accompagnent leurs réussites, mais aussi dans les rapports complexes qu’ils entretiennent avec leurs familles respectives, qui semblent être les lieux d’affrontement entre deux moralités hétérogènes. Environ trois jours, séquencés en une cinquantaine de minutes sans aucun élément extradiégétique : pas de voix-off, pas de musique, juste de la matière brute.
Plus qu’une simple description d’une technique d’arnaque, Vivre riche est un documentaire anthropologique, une expérience d’anthropologie cinématographique. C’est un rapport au monde, une certaine forme de rationalité qui se dégage des images de Joël Akafou.
En effet, il ne cherche pas à critiquer le broutage, mais à comprendre un phénomène plus important, dont le broutage n’est qu’une conséquence parmi d’autres. Dans une interview, il l’exprime explicitement : “À la fois je découvre des jeunes arnaqueurs, mais des jeunes arnaqueurs qui représentent au travers de leur vie 80% des maux que vivent les jeunes ivoiriens”. Ces jeunes ivoiriens font partie de la génération “couper-décaler”, déboussolée par la crise ivoirienne (2002-2011) et inspirée par le style de vie de Doug Saka (chanteur populaire et prophète malgré lui). Ils sont caractérisés par une vision du monde ultra-capitaliste, où l’argent et la consommation ont remplacé tout sens commun. Derrière ce mode de vie finalement très occidental se dévoile la question de la dette coloniale qui ne cesse de hanter leur quotidien. Un regard surprenant et tranchant sur l’Afrique.