La crise sanitaire a un impact dévastateur pour les artistes mais également pour toutes les personnes qui travaillent dans le secteur de la culture. Souvent oubliés, ces professionnels doivent faire face à de nombreuses problématiques et défendre constamment leurs droits.
En avril 2020, les agences de booking et de management musical basées en Fédération Wallonie-Bruxelles se sont réunies afin de créer la FBMU (Fédération des Bookers et Managers Uni.e.s). Celle-ci a pour but de représenter ses membres et leurs métiers auprès des instances politiques et du secteur culturel.
Pour mieux comprendre les fondements, valeurs et répercussions de cette initiative importante et nécessaire, nous avons donné la parole à trois membres de la FBMU :
- Ingrid Bezikofer : manager d’artistes, elle a fondé Feral ART en 2018. Ses artistes ont comme point commun de chanter en français dans des styles différents mais partagent tous un esprit très « roots », sauvage.
- Paméla Malempré : travaille pour Aubergine Artist Management depuis 3 ans. Agence principalement active dans le milieu du jazz au sens large, elle représente aussi bien des artistes établis que des jeunes talents.
- Stan Bourguignon : musicien et booker auprès de Chouette asbl. Collectif d’artistes créé en 2011, cette asbl regroupe plus de 40 musiciens et 10 groupes réunis autour d’une passion commune pour la musique qui se partage au plus proche du public.
Pourquoi les agences de booking et de management sont-elles un relais indispensable entre les artistes et les diffuseurs/organisateurs ?
Paméla Malempré (PM) : Le travail de l’artiste est avant tout de créer, d’imaginer des projets, d’explorer de nouvelles pistes, de collaborer avec d’autres artistes… Cela prend énormément de temps et d’énergie. Cependant, en plus de ce travail artistique, il y a tout un volet indispensable qui consiste à promouvoir et diffuser la réalisation. Cela passe notamment par les médias, les lieux et plateformes de diffusion (salles d’exposition, salles de concert ou de théâtre, diffusion digitale, labels…). Cette diffusion et cette médiatisation demandent un énorme travail de construction de réseau et de connaissance du secteur concerné.
Les agences de management offrent à l’artiste un encadrement complet de sa carrière, ce qui implique un grand nombre de partenaires et donc de contrats à négocier, de décisions stratégiques à prendre… Par leurs expériences avec plusieurs artistes, les agences ont un regard éclairé sur ce qui bénéficie ou non à tel ou tel projet (en termes d’image, de promotion, de partenaires, de bookers, de labels, d’éditeurs…).
Les agences de booking ont un réseau de diffusion en général spécifique (selon le style et le territoire). Elles présentent ainsi leurs artistes aux salles adaptées, et établissent les catalogues d’artistes selon les mêmes critères. Le travail de management et de booking est complémentaire au côté artistique. Il représente d’autres compétences.
Ingrid Bezikofer (IB) : Les structures d’encadrement des artistes, de management ou de booking permettent de les accompagner tout au long de leur parcours professionnel. Elles offrent un regard extérieur sur les stratégies à entreprendre, proposent une organisation voire une méthodologie afin d’établir des relations et plans d’action cohérents de sorte que la musique créée rencontre son public. A partir de la création, et au-delà du talent des musiciens, un grand nombre de compétences sont nécessaires pour permettre à des œuvres culturelles d’atteindre la diffusion la plus large possible (qu’elle soit médiatique ou sur les scènes live). Les artistes, en s’entourant de managers et/ou bookers, peuvent se concentrer davantage sur les aspects créatifs, tout en déléguant les aspects qui relèvent plutôt de la gestion administrative, de la communication et de la stratégie à un entourage encadrant. La confiance au sein des équipes et la passion commune pour la musique créée par l’artiste sont au centre du travail, qui mène à la rencontre avec le public et à ce que l’artiste puisse vivre de son art.
Stan Bourguignon (SB) : Par leur travail et leur expérience, ces équipes contribuent à assurer les meilleures conditions possibles pour le déroulement d’un concert, tant pour les artistes que les diffuseurs. Le travail des agences consiste à faire en sorte que les besoins des différentes parties soient rencontrés, du début d’une négociation jusqu’à la facturation d’un concert réussi (conditions d’accueil, communication, production, etc.). Elles se montrent proactives et aident au développement des artistes qu’elles accompagnent. C’est un vecteur de professionnalisation de la filière live dans son ensemble.
Pouvez-vous présenter la FBMU et parler des raisons de sa création ?
SB : La FBMU a été créée dans un contexte de mobilisation du secteur culturel à la suite des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le Covid. Nous avons été interpellés par nos collègues du CCMA (Comité de Concertation des Métiers des Musiques Actuelles) sur le fait qu’il n’existait pas d’espace de concertation entre les professionnels des métiers du booking et du management, et dès lors pas d’interlocuteur pour représenter les réalités propres à ces métiers. Sur base d’une invitation, la plus large possible, à nos collègues, une cinquantaine d’agences se sont rapidement mobilisées autour de l’idée de la création de la FBMU.
PM : La FBMU s’est créée alors que les fédérations existantes se rassemblaient pour trouver des solutions lorsque est apparue la crise du Covid, dès mars 2020. Nous ne pouvions pas ne pas en être, et cela a été l’occasion d’enfin se fédérer et de représenter à la fois les agences de booking et celles de management, en sachant que beaucoup d’agences ont en réalité ces deux casquettes, surtout dans le développement.
IB : La FBMU a donc été créée pour étudier les problématiques liées aux différents métiers et secteurs représentés. Elle apporte une nouvelle expertise ainsi que de nouveaux éclairages grâce aux expériences partagées et à la solidarité de ses membres.
Quels sont les principaux objectifs de cette création ?
IB : L’objectif de la fédération est clairement de faire entendre nos voix. En tant que managers et bookers, soit nous sommes invisibles dans le métier, soit nos métiers sont méconnus. Les bookers font un travail de prospection auprès des organisateurs et salles pour trouver des dates aux artistes. C’est un travail de longue haleine, de contacts, de réseaux. Ce long travail de fond mène à la reconnaissance d’une agence de booking et crée la confiance entre les agences et les salles pour placer les artistes. Il faut faire attention à ce que ça « matche » ; toutes les salles ou festivals ne programment pas tous les styles musicaux, il faut donc bien cibler les demandes, négocier les contrats, etc. Pour les managers, c’est peut-être encore plus ardu. En tant que manager, on me demande souvent : « Donc vous trouvez des lieux de concert pour les artistes ? » Oui, je fais également du booking, mais un peu par défaut. Manager, c’est surtout encadrer les artistes, les accompagner dans leurs projets artistiques, les aider dans les démarches logistiques pour la création, la communication, les plans stratégiques accompagnant la sortie d’albums, établir des relations avec les autres métiers (attaché de presse, labels, booker…) afin de permettre au projet de tourner un maximum, d’être connu, et de faire vivre l’artiste. C’est véritablement un travail de fond qui commence bien avant les paillettes de la scène. La FBMU est réellement née d’une envie commune de faire reconnaître nos métiers, peut-être même les réhabiliter un peu et également de créer un espace où nous pouvons échanger entre professionnels faisant le même travail et donc s’entraider.
SB : Nous avons commencé par mener une enquête interne en mettant nos données en commun pour mieux définir les contours de nos métiers (volume d’emploi artistique et au sein des agences, aspects du travail effectué, styles musicaux représentés, etc.). Nous avons constitué différents groupes de travail dans le but de mettre en place une communication, entamer une réflexion sur l’impact de notre secteur, créer des liens, garantir la circulation des informations…
PM : Notre première mission a été de définir nos métiers ensemble, de leur donner un périmètre concret et une valeur économique. Nous effectuons tant de choses, tant de tâches différentes sur une journée… Il était important de lister tout ça et de créer une définition qui corresponde à tout le monde, en tant que FBMU et en tant qu’agents. Ensuite, nous voulons valoriser notre travail. Nous œuvrons dans l’ombre, et peu de personnes en dehors du secteur artistique connaissent vraiment nos réalités et nos missions. Nous voulons être intégrés dans les discussions qui concernent le secteur musical et son avenir avec les autres fédérations de métiers. Mais aussi être un relais pour le monde politique, afin de faire comprendre notre travail et être reconnus comme indispensables pour notre secteur. Mais aussi sensibiliser les artistes à « l’à côté », c’est-à-dire le travail de management.
Actuellement, le secteur culturel est gravement touché par la crise. Comment vous êtes-vous adaptés face à cette situation ?
SB : Nos métiers et nos structures sont actuellement extrêmement fragilisés (environ 30 % du volume d’activités est seulement prévu en ce qui nous concerne, avec un salaire à assurer malgré tout). Il est trop tôt à ce stade pour dire que nous avons pu nous adapter. Nous avons axé notre travail sur plus d’administratif (suivi de toutes les demandes d’aide possibles pour les musiciens membres de l’asbl et pour l’asbl elle-même), et essayons en même temps d’anticiper sur des formules musicales plus légères techniquement en vue de prestations Covid-résilientes et en extérieur la saison prochaine, sur d’éventuels ponts à créer avec le monde de l’animation et de l’enseignement pour étendre les opportunités à plus long terme en cas d’érosion du secteur live (disparition à craindre d’un certain nombre de festivals et de lieux de diffusion).
PM : Postposer des concerts, en annuler d’autres, continuer de créer du contenu, prendre le temps de redéfinir les objectifs de chaque projet, remplir des formulaires de soutien, essayer de garder le moral et voir plus loin dans le temps, mettre en place de nouvelles tournées et de nouvelles stratégies, de nouvelles collaborations, se recentrer sur le marché local… Tout perdre à nouveau peut-être, mais là encore, voir plus loin, continuer de créer, d’imaginer la suite, rester visible…
IB : En effet, plus la crise dure, plus on s’enfonce et moins on a l’impression que les perspectives s’améliorent. Néanmoins, on s’adapte, on renforce notre travail administratif pour trouver des financements, notamment les aides proposées par les différents gouvernements. Feral ART a toujours représenté des artistes très « roots ». Pendant l’été, où il y a eu un petit répit durant la pandémie, certains artistes ont même plus tourné que les années précédentes, car les petits lieux, les associations culturelles, qui sont moins grandes mais plus résilientes, ont mis un point d’honneur à maintenir des événements, en extérieur et avec de légères modifications, permettant de se conformer aux mesures sanitaires en place. Et surtout, en tant que professionnels, on a vu une vraie mobilisation, les gens se parlent, se fédèrent, essaient de réfléchir ensemble à l’avenir. Et ça, c’est vraiment encourageant !
Comment pouvons-nous concrètement vous aider ainsi que les artistes ?
PM : Pour le monde musical, acheter les albums des artistes que vous appréciez et que vous voulez soutenir, partager leur musique, la faire découvrir à vos amis. Je crois profondément au bouche-à-oreille, et au plaisir de partager quelque chose qu’on aime. Quand les concerts reprendront, y aller ! Acheter une place et aller voir des shows ! Aller voir des spectacles, des expos…
SB : Offrir ou s’offrir de la musique, s’intéresser aux différentes scènes locales qui foisonnent de créativité, participer aux concerts dès que ce sera à nouveau possible, pourquoi pas même en organiser !
IB : Je suis d’accord avec mes collègues. Pour soutenir les artistes, il faut soutenir leur travail. Et comme chaque travail mérite salaire, c’est une bonne chose de mettre (parfois) la main au portefeuille pour acheter un album, des places de concert, du merchandising (t-shirts et autres mugs…) à l’effigie des groupes. La culture gratuite n’existe pas. Avec les plateformes et le streaming, on a l’impression que la culture ne coûte plus rien. Mais tout se paye, les grosses multinationales profitent des placements publicitaires et des données privées pour se rémunérer, ne laissant que des miettes aux artistes. Alors pour les soutenir, on peut aussi signer des pétitions pour une plus grande diffusion des artistes sur les ondes radio, contre les rémunérations injustes des plateformes, etc. Et aussi, partager avec vos amis, sur les réseaux sociaux (sic) mais surtout dans la vraie vie !
Où pouvons-nous suivre vos différentes actualités ainsi que celles de la FBMU ?
IB : Depuis peu, la FBMU a une page Facebook. Elle démarre lentement, mais nous comptons réellement en faire un lieu de relais pour nos activités. Il y a énormément de sujets qui sont discutés actuellement, entre les quotas radio, la place des femmes dans la musique, les nouveaux modèles plus durables du secteur, la réforme du statut d’artiste… On espère pouvoir informer sur ces enjeux via la page et toucher aussi bien les artistes que les autres professionnels du secteur.
PM : Pour la FBMU, nous avons un site Internet, mais il ne reprend pas encore notre actualité. Toutes les agences ont par contre des sites et pages Facebook présentant l’ensemble des activités de leurs artistes. Notre mission à la FBMU sera essentiellement du B to B, donc pour le moment, nous n’avons pas encore pris le temps de partager ce sur quoi nous travaillons. Nous faisons tout cela bénévolement, en plus de nos emplois déjà très accaparants. On aurait bien besoin d’un manager pour gérer cet aspect-là pour nous !
SB : Sur le site de la FBMU ainsi que sur Facebook et Instagram
Un grand merci à Paméla, Ingrid et Stan pour cet échange particulièrement intéressant et inspirant !