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    FATP 2017 : Ghost Hunting, échafaudage d’une mémoire

    Ghost Hunting

    de Raed Andoni

    Documentaire

    Présenté lors du Festival Filmer à tout prix 2017

    Il aura fallu près de sept ans pour retrouver Raed Andoni sur nos écrans et l’attente n’aura clairement pas était vaine. Dans Fix Me (2009), le réalisateur abordait la guérison au singulier pour se rattacher à la grande Histoire. Avec Ghost Hunting, celle-ci se conjugue au pluriel. Aux origines du documentaire, un scénario de fiction très vite abandonné au profit de la vie, celle au présent. Du cinéma vérité pourrait-on dire. Et puis finalement, pas vraiment. Istiyad Ashbah – de son titre original – est une forme hybride à mi-chemin entre documentaire, théâtre et fiction, avec comme point de départ une tragédie. Cette histoire, c’est celle d’un quart de la population palestinienne. Enfermé pendant plus d’un an à Al-Moscobiya, une prison israélienne tristement emblématique, Raed Andoni tente de surpasser ses vieux démons. Pour ce faire, un seul remède, l’art et le cinéma.

    Le récit se tisse autour de la reconstitution de la prison dans un hangar dont nous ne sortirons jamais. L’exercice n’est pas anodin. Ces hommes tentent de recréer un lieu qu’ils ont connu majoritairement les yeux bandés. Restent alors les sens, les sons et les impressions comme seuls repères spatio-temporels. Dans une mémoire qui fait bloc, chacun essaie d’extraire ses détails. Un nombre de pas pour traverser une pièce, la hauteur d’une poulie qui les maintiennent au-dessus du sol, la couleur d’une paire de chaussure entraperçue malgré le sac qu’ils ont sur la tête ou la taille d’une cellule en fonction de l’air qu’ils parviennent à respirer. Ces hommes, jadis de simples numéros de prisonniers, sont emplis de toute leur subjectivité. Les conflits qui s’en dégagent au fil de la construction en sont la preuve.

    L’exercice est à la fois masochiste et cathartique. A mesure que les murs s’érigent, que les espaces se cloisonnent, les souvenirs, eux, se décloisonnent. Nous n’en connaissons pas les raisons et le sujet ne sera jamais abordé – car finalement qui le sait vraiment ? Mais (presque) tous les protagonistes du documentaire ont subi, comme certains Palestiniens l’appellent, ce « rite de passage ». Raed Andoni pousse le vice. A partir de leurs souvenirs, il reconstitue des scènes d’interrogatoires, de tortures et d’enfermements, jouant tour à tour le rôle de dominant ou dominé tout en ne pouvant s’extraire, quoiqu’il en soit, du champ dominateur de la caméra et du réalisateur. Eprouvant mais pas seulement pour eux, le documentaire est un emboitement de rapports de force qui n’exclut rien ni personne de ses interrogations. A mesure de son avancée, perdu entre réalité, fiction et reconstitution, le quatrième mur cède jusqu’à nous fondre au réalisateur pour nous confronter au rapport éthique et moral de ce qui se trame ici-bas. Car, avec élégance, Ghost Hunting est également une mise en abime réflexive du cinéma qui se crée.

    Lauréat du tout premier prix du meilleur documentaire de la Berlinale, Ghost Hunting est une œuvre coup de poing inclassable qui rend hommage aux 650 000 palestinien(ne)s qui ont, depuis 1967, connu les prisons israéliennes. Cinéaste et rescapé, l’œuvre de Raed Andoni s’insère dans une perspective de devoir de mémoire qui illumine la problématique carcérale de la population civile palestinienne et au-delà le conflit israélo-palestinien, d’un projecteur qui doit irradier toute forme d’obscurantisme.

    Audrey Lenchantin
    Audrey Lenchantin
    Journaliste du Suricate Magazine

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