Musiques ! Echos de l’Antiquité est la nouvelle exposition qui se tient au Louvre-Lens du 13 septembre 2017 au 15 janvier 2018. Elle nous propose de voyager dans la Grèce, l’Egypte, la Rome et l’Orient antiques à travers une suite de « tambours » circulaires met en valeur suivant la thématique des chefs-d’œuvres provenant de musées prestigieux tels le Musée du Louvre, les Musée du Capitole à Rome, le Metropolitan Museum ou encore le Brittish Museum. Avec pour fil conducteur celui de la musique qui, en mêlant histoire, archéologie et recherche scientifique, permet de mettre en lumière un des aspects les plus méconnus de l’histoire de l’Antiquité.
Cette exposition qui couvre plus de 3500 ans, a dû prendre comme base les différents clichés qui guident notre perception de la musique antique. Les chercheurs ont d’abord observé la manière dont les musiciens étaient représentés et mis en scène ainsi qu’étudier certaines évocations sonores. Ensuite, l’archéologie musicale entre en scène et s’attache à observer le matériel lui-même parce qu’il faut également se rendre compte que l’on a pas toujours besoin de notes puisque la musique revêt des formes très différentes.
Le XIXe siècle est une époque charnière pour l’histoire musicale, les fouilles se développant en Egypte et au Moyen-Orient. C’est à cette même époque que l’opéra Aïda fut créé en collaboration avec Mariette en charge du livret. Pour ce faire, ce dernier se plonge dans des recherches et tombe sur un objet rapporté par Champollion. La partie supérieure étant manquante, Mariette prend ce chandelier antique pour une trompette qu’il demande à Adolf Sax de recréer pour les besoins du spectacle.
Trompettes utilisées pour l’opéra Aïda, Paris, Collections du Musée de la Musique
Au XXe siècle, les découvertes archéologiques ont inspiré les historiens et surtout ceux de la musique. Mais les études donnèrent parfois lieu à de mauvaises interprétations. C’est le cas d’une harpe trigone ou angulaire, provenant d’une tombe de Thèbes et de 3000 ans d’âge, qui fut achetée, en compagnie de deux autres exemplaires, pour le Louvre. Pour la positionner, on a transféré nos propres traditions et c’est ainsi que ces harpes furent exposées à l’envers. Le problème c’est qu’elles furent largement représentées dans de nombreux livres dédiés à l’histoire de l’art dans une mauvaise position mais cela révèle aussi le goût pour l’orientalisme qui avait cours au XIXe siècle. Cette harpe, qui sort pour la première fois du Louvre, a également fait l’objet d’une restauration ainsi qu’a une nouvelle analyse de ses matériaux (notamment datation au C14), pour les besoins de l’exposition.
Harpe angulaire, 3ème Période Intermédiaire, Xe – VIIIe siècle av J.-C., Paris, Musée du Louvre.
Dans le même tambour, on nous propose de découvrir 3 enregistrements de l’hymne d’Apollon, partition retrouvée en 1894 à Delphes. Harmonisé par Forêt, les deux premiers enregistrements proposent à l’écoute la mélodie originale qui put être déchiffrée mais avec le style d’un salon parisien. Le 3e enregistrement est beaucoup plus récent et présente une mélodie beaucoup plus neutre et se rapproche donc peut-être le plus de la véracité historique. Ces écoutes, présentes un peu partout sur le parcours de l’exposition forment un support multimédia particulièrement intelligent qui permet vraiment de s’imprégner de son thème autrement que par le visuel.
Dans la partie dédiée à la musique et à la religion, les chercheurs ont tenté de mettre en lumière l’aspect fondamental et quotidien de la musique. Celle-ci est omniprésente pour la monarchie mais on l’utilisait aussi pour rythmer la cadence des soldats ou tout simplement en se déplaçant et même en travaillant. Ici, on se penche plus précisément sur le rapport entre les divinités et l’utilisation de la musique en étoffant ce propos avec des représentations d’Ea, divinité mésopotamienne, patron des artistes et des artisans et Hathor, déesse égyptienne de l’amour et de la musique, souvent représentée sous forme de lyre.
Colonnes à l’effigie d’Hathor du pronaos du temple de Dendérah, Egypte.
Le Sarcophage des Muses prêté par le Musée du Louvre reprend certains instruments. Les 9 muses, filles de Zeus et Mnémosyne, symbolisent les arts majeurs de l’Antiquité. C’est Platon qui, en 401 av. J.-C., crée le lien qui unit les poètes et autres artistes avec ces divinités. Ce très beau relief permet de montrer que le défunt était un homme cultivé, la musique faisant partie des matières qu’il fallait apprendre dans les plus hautes couches de la société.
Sarcophage des Muses, première moitié du IIe siècle ap. J.-C., marbre, Paris, Musée du Louvre.
La musique était également une composante quotidienne de la religion. Des pratiques rituelles de la musique ont été identifiées dans les 4 civilisations de l’Antiquité choisies dans le cadre de cette exposition. La musique servait à attirer l’oreille des dieux mais aussi à les apaiser. Un tambour entier est dédié à des représentations de prières et autres hymnes du Moyen-Orient inscrits sur des tablettes en argile (qui sont aussi proposés à l’écoute), des autels romains, prêtés par le Musée du Capitole, décrivant un sacrifice où la musique est censée atténuer les cris du sacrifiés dans le but qu’ils n’interfèrent pas dans le bon déroulement du rituel, ainsi que la stèle égyptienne très connue, du joueur de harpe devant Ré-Horakty.
Stèle : le musicien d’Amon Djedkhonsouiouef-ânkh joue de la harpe devant le dieu Rê-Horakthy, 3ème Période Intermédiaire, 1069-664 av. J.-C., Paris, Musée du Louvre.
La musique de cour était également essentielle mais représente rarement des individus occupés à jouer de la musique. Les musiciens ne se situaient pas très haut dans la hiérarchie, ils n’étaient finalement que des serviteurs du roi et donc, n’avaient pas les moyens de se faire représenter. En général, ce n’est que sur leur tombe que l’on retrouve leur histoire gravée dans la pierre. Le son est aussi intimement lié au pouvoir comme en atteste les nombreuses représentations de chasses royales accompagnées de musiciens.
Dans les cités grecques classiques, la musique à une grande importance dans les actions politiques ce qui n’est pas étonnant pour une civilisation qui a inventé la démocratie. Les philosophes étaient souvent musiciens eux-mêmes. La stèle de Pergame nous en donne un exemple, c’est un décret promulgué en l’honneur du musicien Créton qui céda ses richesses à sa cité à l’heure de sa mort. Euripide, dont la statue est exposée dans le même tambour, est le parfait exemple de ces musiciens-philosophes.
La musique n’était pas seulement en lien avec la politique, la Grèce antique accueillait nombre de concours musicaux, de concours sportifs rythmés par de la musique. Le théâtre à l’époque antique constituait un spectacle total puisqu’il mêlait mise en scène, musique et danse. On l’apprenait à l’école et la formation militaire s’accompagnait obligatoirement d’une formation musicale parce qu’il fallait pouvoir montrer autant de talent sur les champs de bataille que dans les banquets ! C’est à Athènes que se déroulait les pyrrhiques, une danse en arme en l’honneur de la déesse Athéna.
Exemple de pyrrhique, danse en armes en l’honneur d’Athéna, à partir du VIe siècle av. J.-C.
Pendant les guerres, la musique était également très importante soit pour tenter de chasser l’ennemi, soit utilisée à des fins tactiques ; on y retrouvait surtout des trompes droites ou courbées. On sait par exemple, qu’ils attachaient de gros grelots au cou des éléphants, souvent en bronze parce que ce métal était censé éloigner les mauvais esprits. Le silence impatient qui précède les batailles ou celui qui suit les guerres par la mort qu’il amène est évoqué comme une composante faisant partie intégrante de ce que l’on regroupe sous le nom de musique.
Les sons ont également une valeur érotique. Il n’est pas rare de trouver des représentations érotiques liées à la musique. Les courtisanes de l’Antiquité sont représentées jouant de l’aulos pendant les banquets ou Aphrodite, déesse de l’amour et de la sexualité ainsi qu’Eros dieu de l’amour, président la fête sur le point de basculer dans l’orgie. Il y a bien sûr encore d’autres exemples tels que les sirènes, ces créatures mi-femme mi-oiseau dont le chant envoûte les marins pour les précipiter vers une mort certaine. Ou encore Orphée, fils du dieu Apollon, figure emblématique liée à la musique dans la mythologie grecque qui évolue ensuite dans l’art romain où il est représenté charmant les animaux, les arbres et même les pierres.
Mosaïque d’Orphée, fin du IIe siècle ap. J.-C., (Vienne), Isère, France.
Comme déjà évoqué plus haut, la musique c’est aussi du silence. Les rituels dédiés aux divinités sont rythmés par des alternances d’intermèdes musicaux et de silences. En Egypte, c’est le dieu Osiris, le dieu des morts qui représente le mieux le silence lié à la mort. Tué par son frère Seth, il devient « celui-qui-n’entend-plus ». Il n’entend pas ses sœurs Nepthys et Isis (qui au passage est aussi son épouse) qui se lamentent. Mais à partir du moment où il récupère à nouveau le sens de l’ouïe la renaissance peut avoir lieu. Les percussions sont aussi utilisées lors des accouchements comme en témoigne une représentation du dieu Bès occupé à faire du bruit pour tenir les mauvais esprits éloignés des nouveau-nés. Les gongs en bronze étaient très souvent utilisés notamment à cause du symbolisme de ce métal mais aussi du son qu’ils produisaient censés maintenir les mauvais esprits à distance. Pour une raison que l’on ignore encore, on en trouvait aussi très souvent à l’entrée des thermes.
La musique accompagne les deuils comme le prouve le manuscrit des Chants du harpiste qui marque le passage du monde des vivants au monde des morts. Les pleureuses sont aussi fréquemment représentées, ces femmes étaient engagées lors des funérailles pour faire semblant d’être tristes et donner plus d’importance à la personnalité du défunt. Chaque année, en Egypte, des banquets funéraires avaient lieu pour réveiller les sens des défunts. Enfin, les morts étaient souvent accompagnés d’instruments de musique que l’on mettait dans leur tombe. On suppose que c’est parce que la renaissance est associée à l’écoute d’un son.
Enfin, se pose la question de la transmission sous forme de notations musicales ou de partitions. Le moulage d’Ougarit (Syrie) fait partie des rares témoignages portant des indications musicales. Il s’agit en fait d’un hymne adressé à la déesse Nikal (épouse du dieu Lune), qui est sollicitée pour octroyer une grossesse. On y retrouve également des indications sur la tonalité, les cordes à pincer et en quel mode le chanter. La Grèce antique possède quant à elle un système musical assez perfectionné. Beaucoup de traités furent rédigés tant sur les systèmes de notations que sur la théorie que l’on retrouvait sous forme écrite grâce aux moines qui les recopiaient.
Moulage d’Ougarit, IIe millénaire av. J.-C., Mésopotamie (Syrie).
L’exposition se termine par une carte montrant les déplacements de certains instruments de musique et leur dispersion dans le monde. Il est vrai que l’on peut se demander pourquoi un instrument de musique originaire du Moyen-Orient se retrouve dans le fin fond de l’Europe. Certains instruments ont disparus mais la plupart ont été réinterprétés jusqu’à ce que l’on ne puisse plus rien deviner de leur origine. Aujourd’hui, les instruments de musique ne viennent pas de dispersions successives mais d’intégrations, de traductions et de réinterprétations.
Musiques ! Echos de l’Antiquité est une superbe exposition qui met en lumière près de 400 œuvres pour la plupart inestimable tant par leur valeur historique qu’artistique, qui se retrouvent pour la première fois ensemble. Certaines n’avaient jamais été présentées au public, d’autres très fragiles, n’avaient jamais été déplacées et d’autres encore ont permis de faire avancer les recherches grâce aux nouvelles technologies. On aborde ici l’Antiquité sous une forme différente, comme si l’on pouvait s’immiscer le temps de quelques heures dans les petits secrets de la grande Histoire.