Jean-Denis Schul, JD pour les intimes, a parcouru en vélo le continent européen en pédalant. De retour de cette aventure, ce jeune homme de 28 ans originaire de la province de Luxembourg partage avec nous son expérience et ses réflexions.
Qu’est-ce qui décide quelqu’un à se lancer dans un tour à vélo de 10 mois ?
Je travaillais au Luxembourg depuis deux ans dans un bureau en charge de l’aménagement du territoire, mais j’avais envie de voyager, de découvrir de nouvelles choses. L’élément déclencheur a été quand j’ai appris qu’un Arlonais de 18 ans, le beau-frère d’un de mes colocataires en fait, avait fait un tour d’Europe en vélo. J’étais un peu jaloux, mais je me disais que je ne pouvais pas faire un truc pareil pour plein de fausses bonnes raisons : « j’ai un boulot », « je ne vais pas quitter mes amis et ma famille pendant aussi longtemps », etc. J’ai finalement rencontré ce gars-là, je me suis renseigné sur Internet pour savoir quels pays traverser, quel matériel utiliser et je me suis mis une date butoir : pour le 1er mai je décidais si je partais ou non. Et je suis parti ! En fait, plein de gens voyagent à vélo, donc même si ça reste original, ce n’est pas complètement extraterrestre.
Quelles ont été les réactions autour de vous ?
Tout le monde a été très positif, même si ma mère m’a avoué plus tard que l’idée ne l’avait pas immédiatement emballée. J’étais stressé d’annoncer mon projet au boulot : je prévenais mi-mai pour mon départ en septembre. Mais on a trouvé un arrangement : j’ai rassemblé mes congés légaux, mes congés sans soldes et on a mis en place une action de sponsporing pour ma boîte: j’ai pris des photos avec le logo de l’entreprise dans différents endroits d’Europe. Là je réintègre mon poste début août.
Faut-il être Eddy Merckx pour se lancer dans un tel projet ?
Ce n’est pas si dur. Le corps s’habitue à tout : à bouger ou à rester dans un canapé. Moi par exemple, je faisais juste un peu de basket et je ne me suis pas beaucoup entraîné avant de partir. Les premiers jours ont servi d’entraînement. Par contre, c’est certain que les deux premières semaines font mal aux fesses. Mais ça aussi on finit par s’habituer (rire).
Les gens en font une montagne – comme moi avant – mais sincèrement, tout le monde peut faire 50 km à vélo en une journée. Quand j’étais dans la Loire, j’ai croisé beaucoup de retraités allemands de 70 ou 80 balais qui le faisaient. Il suffit de prendre son temps et de faire des pauses.
Y a-t-il eu des moments difficiles ?
Je n’ai pas connu de grand moment de découragement. Sans doute parce que je suis quelqu’un d’assez positif. Par contre c’est sûr que certaines étapes ont été plus éprouvantes que d’autres. La traversée des Apennins en Italie a été difficile. C’était le mois de janvier, le terrain était montagneux, il faisait froid, il y avait de la pluie. Il fallait être tactique : les journées étaient courtes et je devais trouver un endroit où camper avant la tombée du jour. Les jours venteux étaient également pénibles : ça use mentalement quand tu pédales comme un cinglé, mais que tu n’avances pas à cause du vent. Dans un autre registre, j’ai appris la naissance de mon neveu sur la route. J’étais à la fois heureux et triste de ne pas être présent.
À y repenser, les moments où j’ai eu le plus dur sont quand j’ai quitté le centre de tortues Archelon en Grèce, j’y serais bien resté plus longtemps, et quand j’ai passé la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique. Je serais bien reparti dans l’autre sens. En plus j’aurais eu le vent dans le dos !
Votre parcours a aussi été l’occasion de vous associer à Oxfam Solidarité et de faire diverses activités de volontariat.
Même si je partais pour moi-même en premier lieu – d’ailleurs on pouvait me sponsoriser –, je voulais faire quelque chose pour les autres lors de ces 10 mois de voyage. Je suis par exemple devenu un intermédiaire pour Oxfam Solidarité : les gens pouvaient faire un virement de 10€. En échange j’envoyais aux donateurs une carte postale du pays de leur choix et reversait l’argent (moins le prix de la carte et du timbre) à Oxfam. C’était un moyen sympa de faire un don.
J’ai fait du WWOOFing en Espagne, dans une ferme d’agriculture biologique. En Grèce j’ai travaillé un mois à Archelon, dans un centre de protection des tortues marines à Athènes. Là, j’ai rencontré plein de gens intéressants : des gens qui ont le feu, qui sont passionnés par l’environnement et sa défense. Je me suis arrêté deux semaines à Bärenwald Müritz, un centre de protection des ours à Stuer dans le nord de l’Allemagne. Enfin, j’ai passé cinq semaines au VOC, un centre de protection des oiseaux à Ostende.
Enfin, à côté de tout ça, j’ai profité de mon voyage pour développer sur mon site web une rubrique « urbanisme », avec des réflexions, des sujets de débats et des idées d’aménagements territoriaux.
Certains pays vous ont-ils marqué plus que d’autres ?
Chaque pays a quelque chose. J’ai adoré Athènes et les Grecs : ils sont posés et très à l’aise. Le Portugal était une belle étape. Les gens y sont gentils, ouverts, polyglotte et la vie n’y est pas chère. Les Balkans c’était bien aussi, mais parler slave était une autre paire de manches ! Partout où j’allais j’apprenais quelques phrases (« je fais un tour d’Europe à vélo » ; « j’ai une tente », etc.).
Par contre, de la Grèce jusqu’à la Hongrie il y a une constante : chaque pays trouve que ses voisins sont les pires du monde et prétendent que la vie y est dangereuse (« Attention, tu vas te faire tuer ! »). La Grèce pense cela à propos de la Macédoine ; la Macédoine dit cela à propos des Grecs et des Albanais. Cependant cette attitude est très marquée chez les Grecs. Ils ont beau être ouverts sur plein de sujets, leur tolérance a des limites quand on évoque leurs voisins. Ils considèrent que la Macédoine n’existe pas – ils appellent ce territoire Skopja – et ils méprisent les Macédoniens qui se revendiquent d’Alexandre. Les Grecs ont l’impression qu’on leur vole leur culture, leur histoire. C’est une vision très dure et très ancrée, jusque dans les manuels scolaires.
La situation économique du pays était-elle visible en Grèce ?
Tous les Grecs que j’ai rencontrés étaient au chômage. En général ne restent que ceux qui sont très attachés au pays. Au centre de tortues Archelon, il y avait des volontaires internationaux comme moi et des volontaires quotidiens, des locaux, qui étaient sans emplois. Cette activité leur permettait de recréer des liens sociaux et parfois même de trouver un petit boulot par le bouche à oreille.
J’ai aussi faire du Couchsurfing à l’université de Patras où les gens, pro-Syriza, exultaient quand l’ancien ministre des finances Varoufakis a dit que la troïka n’avait aucune légitimité démocratique et que le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem a déclaré qu’il venait de tuer la troïka. En Grèce c’était énorme. Ceci dit, mon point de vue est biaisé, car je n’ai rencontré qu’un certain type de personnes : des étudiants, des volontaires, de chômeurs, etc. Je n’ai pas parlé avec des bourgeois ou des chefs d’entreprises.
D’un côté, les Grecs ont de nombreuses demandes légitimes. D’un autre côté, ils exagèrent parfois. Un homme rencontré à Patras était étudiant, donc logé et nourri gratuitement, depuis sept ans ! Les gens râlent aussi de payer certaines taxes qui chez nous sont normales, comme la taxe foncière. Tout cela attise un conflit intergénérationnel. Les aînés ont tout eu et maintenant les jeunes ne peuvent plus prétendre à ce genre de vie, on ne leur donne plus rien et ils doivent rembourser des dettes qui ne sont pas les leurs.
À l’inverse du Portugal ou de la Grèce, certains pays vous ont-ils déplu ?
L’Espagne est le pays que j’ai le moins apprécié. De nombreux endroits sont trop touristiques et l’étranger en visite est réduit à celui qui lâche le pognon en juillet. C’est aussi dans ce pays que j’ai le plus vivement ressenti un constat qui vaut pour tout l’ouest de l’Europe : tout est organisé et urbanisé ; il y des maisons, des villages partout. Heureusement, pour reprendre le cas de l’Espagne, il reste quelques grands espaces entièrement dédiés à la nature comme le long du Guadalquivir ou le magnifique parc naturel de Cabo de Gata.
De ces 10 mois de voyage, avez-vous une anecdote décalée à partager ?
Oui, lors de mon étape en Macédoine. J’étais au sud-est de Skopje, dans la ville de Veles, et je décide de m’arrêter tôt, vers 16h, car le soleil se couche une heure plus tard. Je plante ma tente dans des vignes et là un homme arrive. Quand je lui demande si je peux dormir là, il me dit de le suivre, dans un mélange d’anglais et de macédonien (proche du slovène). Son chien près de lui et son énorme flingue à la main, il m’emmène dans une bicoque à côté d’une grande ferme. À l’intérieur : un petit lit, un poêle et… un bureau sur lequel reposent plein de couteaux. Un peu perdu et effrayé, je ne comprends pas ce qu’il me veut. Il me demande si je fais du vélo. « Oui… ». « Moi la chasse ». Gloups ! Il me propose alors du rakija, une eau-de-vie locale, mais je refuse poliment. J’ai du mal à me détendre, je serre le couteau dans ma poche. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il ne va pas essayer de me voler mes affaires. Au fur et à mesure de notre discussion, j’apprends son nom, Aleshko, il me parle de ses enfants et il m’explique qu’il surveille les vignes d’un énorme propriétaire foncier. Finalement, le lendemain on va chez lui à Vargas et je fini par accepter de goûter le rakija de bon matin. La nuit suivante j’ai pu planter ma tente dans le secteur où il faisait sa ronde.
Non seulement les Macédoniens sont un peu rustres, on ne sait pas ce qu’ils pensent, mais en plus Aleshko m’a servi une belle entrée en la matière : « Dans les Balkans, on ne boit pas de thé. On boit du sang, du rakija et du vin ». (Ndlr : Jean-Denis précise qu’il n’a pas bu de sang). Aleshko s’est révélé être génial. Il m’a donné deux bouteilles de rakija pour la route : j’en ai bu une avec mon père et mon frère en visite et l’autre je l’ai offerte en cadeau à une connaissance qui m’a hébergé à Budapest. Maintenant je suis ami avec les enfants d’Aleschko sur facebook pour pouvoir garder contact avec lui !
Considérez-vous le vélo comme un mode de déplacement alternatif ? Allez-vous continuer à l’utiliser au quotidien ?
Je n’aime pas trop utiliser l’adjectif « alternatif ». Je dirais plutôt que c’est un bon moyen de transport et que son utilisation devrait être plus naturelle. Ces dernières décennies, nous avons construit nos sociétés sur l’utilisation de la voiture, mais celle-ci n’est pas indiquée dans tous les cas. Je suis d’accord que faire 1km à pied peut paraître lent, ou que se bouger peut paraître difficile au début, mais en vélo c’est tellement simple. La roue est quand même une des plus grosses révolutions de l’histoire humaine !
Le vélo n’est pas réservé aux écolos-bobos des villes, on peut aussi l’utiliser dans les villages. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer en aménageant des pistes cyclables et des zones piétonnes même dans les zones rurales. Investir dans c’est choses-là c’est donner concrètement de l’argent aux citoyens. Le discours actuel est par exemple qu’en donnant moins d’argent à la SNCB, le citoyen aura plus salaire-poche. Or, si le gouvernement permettait de réduire la consommation liée à la voiture, on économiserait réellement, de façon globale, même sans avoir de « salaire-poche » individuel.
Pour changer le monde, il faut commencer par changer un pays, changer une ville, changer un village, changer une famille, ou se changer soi-même. On n’est pas tous obligés de faire un tour d’Europe à vélo pour arrêter de polluer comme des cinglés, mais on est tous capable de rouler à vélo.
Estimez-vous que ce voyage vous a changé ?
Je ne sais pas… Je suis en tous cas plus en accord avec ce que je pense et ce que je suis. Ce voyage m’a permis de découvrir des choses sur les autres et sur moi. C’est bien de ne pas rester dans son confort: le changement est agréable, même s’il demande des efforts. Le plus dur est le « allez on y va ». Le reste est simple.
Voyager m’a aussi permis de ne plus prendre pour argent comptant ce que je lisais ou entendais dans les médias ici. J’ai appris à me distancier et à utiliser mon esprit critique. Bon et c’est vrai que je suis devenu végétarien après juste un mois et demi sur la route. Et que j’essaye vraiment de réduire mes déchets. Voyager léger m’a permis de réaliser qu’on a besoin de peu.
J’ai peut-être changé finalement… ? (Rire).
Si vous voulez en savoir plus sur le parcours et les aventures de Jean-Denis c’est ici, sur son blog Europa Velo !