Après leur cycle de janvier-février sur l’aliénation animale, le cinéma Nova poursuit cette exploration en s’intéressant cette fois-ci à la question de la cohabitation entre animaux humains et non-humains. Deux courts-métrages documentaires, projetés simultanément sous la forme d’un double programme, auscultent chacun à leur façon l’étiolement de notre lien au reste du vivant entamé à l’entrée fracassante de notre monde dans l’ère Anthropocène.
Dans Churchill, Annabelle Amoros pose sa caméra dans une petite ville de la baie d’Hudson dans le grand nord canadien. Lieu de passage des migrations d’ours polaires, la ville est chaque année envahie par ces carnassiers qui représentent un danger considérable pour la population, en même temps qu’une manne financière providentielle pour cette commune du bout du monde. La réalisatrice promène son regard ironique sur les acteurs de ce drôle de manège dont les ours sont à la fois victimes et vedettes. Aux bus de touristes en mal d’exotisme sauvage succèdent les patrouilles de policiers armés, n’hésitant pas à faire feu sur les spécimens un peu trop enclins à s’aventurer dans les rues enneigées. Par un minutieux travail du son (vrombissement des hélicoptères, bourdonnements des talkie-walkies, vents violents, musique dissonante), la cinéaste guide son film vers un territoire fantastique (on pense à The Thing de Carpenter) nous rappelant par là même que l’altérité suppose toujours l’existence d’une multiplicité des points de vue dans le récit du monde – n’en déplaise à l’Homme qui persiste à s’y voir , éternellement, au centre.
Film âpre et silencieux, Haulout suit le biologiste marin Maxim Chakilev dans son travail annuel d’observation de milliers de morses rassemblés sur une côte de l’Arctique sibérien. D’année en année, le réchauffement climatique contraint les mammifères à patienter de plus en plus longtemps lors de ce repos migratoire, avec des conséquences parfois désastreuses pour leur survie. Si les réalisateurices Maxim et Evgenia Arbugaeva épargnent pratiquement leur court-métrage de mots, c’est que le pouvoir de saisissement de la confrontation d’un homme à des milliers d’animaux, perdus aux confins du monde, se suffit amplement à lui-même. L’effet ressenti est celui d’un rétrécissement immédiat de notre humanité suffisante, suivi de l’embarras douloureux d’appartenir à l’espèce qui enterrera probablement toutes les autres.
« Espèce d’espèces », du 14 septembre au 29 octobre au cinéma Nova.