Escobar
de Fernando León de Aranoa
Biopic, Policier
Avec Javier Bardem, Penélope Cruz, Peter Sarsgaard
Sorti le 6 juin 2018
Comme le présage le titre, Escobar vient s’inscrire dans la déjà très longue liste d’adaptations cinématographiques tirées de la vie de celui qui fut un jour nommé El Patron. Et Fernando Leon de Aranoa comprend assez vite que s’il veut que son film fonctionne, il faut un point de vue novateur – comment rivaliser avec la célèbre série Narcos, dont les fans attendent la saison 4 avec impatience, si rien de nouveau est à offrir ? Mais le réalisateur espagnol est prêt à prendre le pari.
Et le grand atout que revendique Escobar est son point de vue. Il existe déjà une demi douzaine d’adaptations, mais aucune autre n’est basée sur le roman « Loving Pablo, hating Escobar », écrit par la starlette colombienne, mais aussi la maîtresse du baron, Virginia Vallejo. Et c’est donc à travers les paroles de la femme bafouée que l’histoire est racontée. Et force est de constater que, même si ce n’est pas une complète réussite car Vallejo reste dans l’ombre d’Escobar, la démarche n’est pas inintéressante : parler d’un milieu extrêmement machiste en empruntant un point de vue féminin.
Choisir Virginia Vallejo comme porte-parole est aussi intelligent, en ce qu’elle permet de cibler un certain moment de l’histoire d’Escobar, à savoir celui qu’elle a passé à ses côtés – parce que s’il fallait raconter toute la vie du grand chef du cartel de Medellin, il faudrait au moins deux saisons de dix épisodes. Du coup, ce n’est pas un Pablo qui commence à trafiquer de la drogue qui nous est présenté, mais bien un Pablo déjà riche, qui acquiert assez vite des privilèges politiques et qui est prêt à tout pour rester au sommet. Se concentrer sur cet aspect-là de sa vie permet de tracer plus distinctement le profil très emblématique de cet homme déterminé, à la soif de pouvoir.
D’ailleurs, pour que le portrait soit complet, il fallait un acteur capable de se mettre dans la peau d’une telle personnalité. Et c’est ainsi qu’un Javier Bardem engraissé est venu ajouter son nom à la liste des Escobars, après Cliff Curtis, Benicio Del Toro, Brad Furman et surtout, Wagner Moura. Javier Bardem n’est pas n’importe quel Escobar, car avec ses traits très prononcés, il a non seulement la gueule de l’emploi, mais il arrive aussi à obtenir le charisme et le sang froid nécessaires pour interpréter un bandit d’une telle envergure. Et pour la deuxième fois cette année – avec Everybody Knows d’Asghar Farhadi – l’acteur se retrouve en tête d’affiche aux côtés de sa bien-aimée Pénélope Cruz, qui interprète ici Virginia.
Il y a aussi une dimension politique très présente dans un film tel qu’Escobar qui raconte d’abord l’ascension au pouvoir et ensuite le déclin d’un cartel aussi important que celui de Medellín dans les années 80. Le spectateur parcourt en deux heures un pan très riche de l’histoire de l’Amérique avec les années Reagan, l’essor du narcotrafic en Colombie et le conflit armé qui en découle. Mais certains événements des plus marquants quand on parle du conflit armé colombien semblent passés sous silence comme la prise du palais de justice de Bogotá, dont parle en plus Virginia dans son livre.
Et finalement, pour vraiment vendre son affaire, de Aranoa n’hésite pas à faire péter le budget. Mis à part les ambiances et décors qui sont incroyablement travaillés, certaines scènes marquent les esprits par leur prestance comme celle de l’avion rempli de drogue qui atterrit en plein milieu d’une autoroute. Et si ces quelques instants mémorables, ainsi que son point de vue un peu plus original font d’Escobar un film qui mérite d’être vu, il serait temps pour les cinéastes de laisser Don Pablo reposer en paix, car son histoire commence à ressembler à un os que rognent les réalisateurs dans l’espoir de trouver encore un peu de chair fraîche.