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    Entretien avec Sylvain Savoia

    Tromelin

    L’île des Sables, un îlot perdu au milieu de l’océan Indien dont la terre la plus proche est à 500 kilomètres de là… À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une « cargaison » d’esclaves malgaches.  Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois.
    De là est né ce livre : Les Escalves oubliés de Tromelin, une bande dessinée qui entremêle le récit « à hauteur humaine » avec le journal de bord d’une mission archéologique sur un îlot perdu de l’océan Indien. Après le succès international de Marzi, Sylvain Savoia offre à nouveau aux lecteurs une magnifique leçon d’humanité.

    Entretien avec l’auteur

     

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    Comment est née l’envie de vous attaquer à un sujet pareil ?

    L’envie vient d’abord d’une volonté de monter un projet tout seul. Un jour je suis tombé sur un article dans Le Monde qui parlait d’une mission archéologique sur l’île Tromelin. L’article résumait en quelques lignes l’histoire des esclaves qui s’y sont retrouvés pendant des années et ça m’a donné envie d’en savoir plus car j’ai tout de suite trouvé qu’il y avait tout dedans, le thème me passionnait déjà. Du coup j’ai écrit spontanément à l’équipe d’archéologues qui bossait sur le sujet en leur demandant si ça leur dirait de mettre leurs recherches entre mes mains pour que j’en fasse une BD. Ils ont été tout de suite enthousiastes car ils avaient envie que quelqu’un mette en valeur cette histoire un peu oubliée.

    Vous vous êtes même rendus sur place.

    Oui tout à fait ! À la base ça n’était pas prévu. J’ai rencontré l’équipe archéologique en 2007. Un an plus tard, suite au désistement d’une équipe télé, ils m’ont demandé si éventuellement j’étais intéressé de me rendre sur place. Dupuis m’a donné son feu vert alors j’ai sauté sur l’occasion. Cette expédition s’est révélée particulièrement passionnante.

    Vous racontez d’ailleurs cette expédition dans votre album, en alternant des chapitres historiques et des chapitres plutôt documentaires. Comment vous est venue cette idée ?

    C’est venu spontanément, en travaillant sur l’album. Ma première idée était simplement de raconter l’histoire des Malgaches abandonnés au XVIIIème siècle. J’avais quand même en tête la réalisation d’un dossier graphique sur l’équipe archéologique qui, éventuellement, serait intégré en supplément à la BD. Puis, une fois sur place, ce que j’ai vécu était tellement fascinant que je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose de plus. Finalement alterner les deux époques s’est révélé une très bonne manière de raconter mon histoire car la double perspective permettait aussi un travail de mémoire passant par le biais de l’activité de recherche contemporaine.

    On sent un travail graphique très différent entre les parties situées au XVIIIème siècle et les parties contemporaines.

    Ça, c’était vraiment pour que le lecteur n’ait jamais à se poser la question de savoir dans quelle partie du récit il se situe. Que ça saute aux yeux. Au passage ça s’est aussi avéré un petit challenge personnel parce que je n’avais encore jamais travaillé de cette manière. En plus, les parties contemporaines m’ont permis de travailler le rapport au temps de façon différente, car l’histoire des esclaves s’étale durant des années et je devais faire des ellipses. À ce niveau, l’alternance avec l’aspect documentaire m’a facilité la tâche.

    À propos de la partie romancée de l’œuvre, tout n’est sans doute pas historique. Comment le lecteur peut-il faire la part des choses ?

    C’est assez difficile de se mettre à la place d’un Malgache du XVIIIème siècle qui a été déraciné puis abandonné sur une ile déserte pendant des années. Pour ma part, j’ai essayé de rester au plus proche de toutes les découvertes, via les archives mais également à partir de tout ce qui a été découvert sur l’ile par les archéologues. Je me suis également rendu à Madagascar pour rencontrer les Malgaches, comprendre leur culture et leur mode de fonctionnement, surtout au niveau du sacré et du rapport à la mort qui a quand même été particulier et omniprésent sur l’ile Tromelin. Je ne voulais surtout pas avoir l’air de raconter n’importe quoi. Cette oeuvre n’est pas l’histoire de Malgaches fantasmés par mon esprit, le travail en amont de documentation est très conséquent.

    En plus de l’aspect historique et fictionnel, il s’agit d’une œuvre fort pédagogique et l’on sent que vous cherchez à transmettre beaucoup de messages humanistes à votre lecteur. Était-ce dans vos intentions depuis le départ du projet ?

    Je pense que c’est surtout venu en développant le projet. A la base, mon envie était simplement de parler de ce drame et de montrer toute l’absurdité de cette volonté de capturer des gens, les déplacer, les abandonner si nécessaire. Ces gens étaient aussi négligeables que des objets, et je trouvais ça particulièrement dur donc c’est essentiellement là dessus que je j’ai voulu axer mon récit. Et puis, j’avais aussi la volonté de me projeter dans le regard de l’esclave et non dans celui du français – ce qui aurait pourtant été plus simple pour moi ! Ce qui m’intéressait c’était vraiment de me mettre dans la peau de ces gens dont on a volé le destin. Imaginez-vous que sur les 160 esclaves à bord du navire, sept seulement ont survécu !

    Pensez-vous qu’une BD de ce genre aurait sa place dans les programmes de lectures scolaires au même titre qu’un roman ?

    À partir du moment où l’on met des romans dans les mains des jeunes pour leur ouvrir l’esprit sur le monde, pourquoi pas une BD de ce type ? D’ailleurs pour mes ouvrages précédents, j’ai souvent été appelé à faire des interventions en milieu scolaire, et c’est là qu’on se rend compte à quel point c’est important d’avoir un contact avec les jeunes et participer à leur éveil. C’est une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui, je suis moins attiré par la pure fiction qu’avant. J’ai davantage envie de travailler de manière plus proche du réel, avec des problématiques plus centrées sur l’Humain et plus ancrées dans l’Histoire.

    Propos recueillis par Ivan Sculier.

    Ivan Sculier
    Ivan Sculier
    Journaliste du Suricate Magazine

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