Zombi child est un film à part, qui met en parallèle deux univers que tout semble opposer et qui pourtant se répondent par la filiation, la force de l’amour et l’enfermement. On voyage dans des mondes peu connus : le vaudou, l’enfer des plantations et l’institution d’élite pour jeunes filles dont les parents ou grands-parents ont reçu la légion d’honneur. Le réalisateur fait également la part belle à l’amitié, à l’âge des jeunes filles en fleur et donne un souffle au film par le monologue amoureux de l’une d’entre elles. Le lent déroulé pendant la première heure pourra en dérouter plus d’un, toutefois la dernière partie est riche à la fois au niveau de la dramaturgie et cinématographiquement.
Dans ce film tout en contrastes, l’auteur et réalisateur Bertrand Bonello (connu pour Nocturama et Saint Laurent) relate l’histoire vraie de la transformation en zombi (mort-vivant) d’un homme en Haïti en 1962 pour être envoyé travailler dans l’enfer des plantations de cannes à sucre. En parallèle, 55 ans plus tard, une jeune étudiante haïtienne intègre une sororité littéraire en contant l’histoire de son grand-père dans le très prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Paris. Autour d’une rencontre avec le Suricate, Bertrand Bonello a partagé ce qui l’a amené à réaliser ce film un brin étrange et fantastique.
Pourquoi ce film et qu’est-ce qui vous a attiré sur le thème des zombis ?
Tout d’abord l’envie d’un ailleurs, après avoir tourné en France et à Montréal où j’ai vécu également. Je voulais aussi faire ce film rapidement et différemment dans sa fabrication : en un an le film a été réalisé, monté et projeté au festival de Cannes. J’ai lu l’histoire de Clairvius Narcisse il y a quinze ans, mais le processus qui m’a amené à vouloir raconter son histoire reste assez mystérieux pour moi-même. J’avais envie que le film ne soit pas dicté par une narration, mais plutôt par un regard sur cet homme et ces jeunes filles.
Comment s’est passé le tournage et que vous évoque Haïti dorénavant ?
Haïti est un pays complètement dingue. On associe souvent Haïti à la pauvreté et aux catastrophes naturelles mais c’est en même temps un pays d’une richesse incroyable. Quand on parle d’Haïti, on ne parle pas de sa force, de son histoire de première république noire indépendante, de ses histoires dont on pourrait tirer une vingtaine de longs métrages avec la richesse de l’imaginaire collectif. C’est un pays puissant.
Il y a eu des difficultés pour réaliser ce tournage, tout d’abord faire accepter le projet alors que le vaudou et la zombification ont beaucoup été utilisés pour diaboliser le pays, notamment pendant l’occupation américaine. Le projet a été accepté au travers de beaucoup de rencontres avec des intellectuels haïtiens (ethnologues, historiens, anthropologues) et une compréhension de mon regard de Français qui ne substitue pas à un regard haïtien. La deuxième difficulté est liée aux infrastructures et on se lève le matin en sachant que le sinistre est possible. Enfin, le pays a été sujet à des émeutes violentes en 2018-2019 et il y a un des hôtels dont je n’ai pu sortir.
Qu’avez-voulu montrer de la jeunesse dans ce film ?
Je ne suis pas sûr qu’un cinéaste ait des intentions. Si j’arrive et je dis que je veux montrer cela de la jeunesse, c’est que je ne suis pas prêt à l’accueillir. Tout est écrit, il n’y a pas d’impro, mais le sujet apparait après coup en fonction des différents éléments du tableau.
Il y a assez peu de joie chez ces jeunes filles…
Elles sont dans un enfermement, dans un lieu particulier coupé du monde, même si elles restent des jeunes filles de 16 ans qui écoutent Damso la nuit sur leur portable. Quand j’ai visité ce lieu, plusieurs fois avant de tourner, on se dit au début que c’est génial. Puis après, il y a une mélancolie qui nous gagne et qui doit les gagner aussi. Elles font partie d’une élite féminine (NB : 100 % de réussite au bac, 72 % de mentions très bien) et d’après d’anciennes pensionnaires peuvent vivre une difficulté à s’inscrire dans le monde parce qu’elles ont été exclues.
Quelques questions plus personnelles : comment combinez-vous votre activité de cinéaste avec celle de compositeur musical et à vous sentir légitime dans ces deux mondes ?
En fait, je ne dissocie pas. J’ai la chance de faire de la musique et quand j’amène une musique, c’est un peu comme quand j’amène un dialogue ou une description.
Comment avez-vous vécu votre dernier passage à Cannes où Zombi Child a été présenté ?
Cannes est un festival qui exacerbe les rapports humains, c’est très dur. C’est une machine à laver.
Avez-vous envie d’expatriation ?
Je suis attaché à Paris, c’est là où je travaille et le cinéma est assez nationaliste. Ce n’est pas facile de dire : « tiens, je vais aller m’installer en Hongrie faire un film ». Le rêve américain n’en parlons pas. L’expatriation non, mais j’ai envie de voyages.