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    En attendant Gudule au Théâtre Océan Nord

    Crédit photo : A.Piemme/AML

    Ecriture et mise en scène de Virginie Strub, avec Jean-Marc Amé, Cyril Briant, François Delcambre, Allesandro De Pascale-Kriloff, Jessica Gazon, Ingrid Heiderscheidt, Christophe Lambert, François Sauveur, Viviane Thiébaud

    Du 11 au 22 novembre à 20h30 au Théâtre Océan Nord

    A l’Océan Nord, on n’a pas froid aux yeux et on ose aller aux limites du théâtre. En attendant Gudule, spectacle expérimental, explore son propre médium, dissèque l’être humain et laisse sans voix.

    En attendant Gudule n’est pas un spectacle narratif, loin s’en faut. Virginie Strub fait le pari de supprimer toute histoire linéaire pour reprendre une série de scènes explorées de différentes façons, en changeant le rythme, l’intensité, en ajoutant ou en supprimant des corps. Une même scène de repas sera jouée, rejouée avec parfois 1, parfois 7 comédiens. Elle sera rapide ou lente, calme ou absurdement exagérée, en se rapprochant au fur et à mesure d’une évidence : l’Homme est un animal animé de pulsions.

    Si le théâtre est le lieu de la parole, il est aussi, sans conteste, le lieu du corps. C’est cette option dont Virginie Strub a voulu tirer l’essence, en proposant une création, non pas muette – les personnages se parlent – mais aux sonorités absentes. Impossible pour le spectateur d’entendre ce que se disent les personnages. Elle espère ainsi que chacun pourra projeter sur ce mutisme des sens, des histoires dictées par les corps, les visages et nos propres psychés. Le spectateur devient lui aussi moteur de création, plus qu’un observateur retranché.

    Comme un goûteur qu’on prive de la vue, le spectateur d’En attendant Gudule découvre, en enlevant le son, la puissance d’évocation des autres armes de l’acteur. Les gestes paraissent plus appuyés, plus amples, les expressions plus fortes et pourtant, comme nous l’assure Virginie Strub, la gestuelle est la même, rien n’est exagéré. L’absence de parole révèle le geste physique. En refusant la narration, anecdotique, Strub ôte le superficiel pour toucher à l’essentiel. Elle arrive à atteindre l’essence de l’Homme, comme si en enlevant une pièce pour en décortiquer la structure, l’être humain devenait tout de suite limpide.

    Dans cette absence de parole se trouve le coeur même de son propos : l’Absence appelle le Manque qui lui-même crée l’Attente. Aller au théâtre, c’est attendre un dépaysement, une histoire, un voyage, porté par une narration et des personnages. Le spectateur attend donc une parole narrative qui n’arrivera jamais. Ici, pas de voyage narratif, pas d’histoire, sinon celle de l’Homme explorée dans un cercle dont on ne sort pas. Le Manque se fait donc ressentir.

    C’est alors qu’on se rend compte, petit à petit, en vivant avec cette Attente, que le Manque est un révélateur car il est dans la nature même de l’Homme qui n’agit que pour combler une absence : on cherche l’amour, le plaisir, on consomme, on est en quête d’un corps parfait, de la vérité, etc. A l’instar de cet homme qui, au début du spectacle, tourne sans cesse autour d’une tache de lumière, d’abord lentement puis de plus en plus vite pour finalement briser sa routine et disparaître, l’être humain tourne en rond, répète les mêmes gestes incessamment afin de combler un vide pour finalement mourir. En répétant les mêmes gestes avec de plus en plus d’intensité, comme le fait ce personnage au lever du rideau, elle pose une loupe chaque fois plus grossissante sur les personnages qu’elle observe et nous force à nous voir dans notre universalité.

    L’expérience est d’abord complexe : les comédiens entrent lentement dans la vif du sujet, laissant le spectateur aux prises avec la frustration de ne pas avoir les clés pour comprendre le langage qu’ils « parlent ». Une fois qu’on a intégré le processus, il devient passionnant d’observer ces petits rats de laboratoire révéler avec autant de force qui nous sommes. En effet, si le démarrage semble un peu lent, ce n’est pas par maladresse mais suivant un choix dicté par les impératifs de son procédé.

    L’expérience n’est pas uniquement intellectuelle puisque Strub parvient à créer de grands moments d’angoisse, de suspense et d’émotion. Par le prisme de l’absurde, elle arrive à transformer l’expérience repoussante d’un concours de crachat en un constat fondamental : l’Homme est un animal et ce concours n’est qu’une parade nuptiale, un combat de coqs. En allant au fond de sa démarche et sans retenue, elle touche aux bases même de qui nous sommes. Le résultat paraîtra absurde, étrange, comme la pièce de Beckett à laquelle elle fait un clin d’oeil par son titre mais aussi par son aspect cyclique.

    Si l’expérience est à déconseiller aux moins courageux, elle ne manquera pas de combler ceux qui auront le courage de se regarder en face, comme on se voit nu, même si on regrette que le procédé n’aille pas encore plus loin et prenne à certains moments des allures d’exercice de style. On attend avec impatience que Strub aille plonger plus profondément les mains dans la nature humaine tant on a l’impression, dans En attendant Gudule, d’approcher de la vérité.

    Mathieu Pereira
    Mathieu Pereira
    Journaliste

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