De Anne Sylvain. Librement inspiré de la vie de Joseph Merrick. Mise en scène de Michel Kacenelenbogen. Avec Bénédicte Chabot, Yves Claessens, Jo Deseure, Itsik Elbaz, Othmane Moumen, Ariane Rousseau et Anne Sylvain. Du 09/05/19 au 22/06/19 au Théâtre Le Public.
Londres, fin du 19ème siècle. Joseph Merrick, atteint d’une maladie rare, souffre d’innombrables déformations qui lui donnent le surnom « d’Homme Éléphant » et le conduisent, dirigé par un forain, à se produire sur scène devant un public avide de créatures étranges, parmi lesquelles autres nains ou femmes à barbe. Alors qu’il rencontre le docteur et chirurgien Frederik Treves, son destin se voit bouleversé ; d’attraction de foire, il devient cas médical incroyable. Passant d’une fascination à une autre, Joseph Merrick, pourvu d’une grande intelligence, n’en est pas moins un homme, qui pense, qui se questionne et qui rêve.
La vie de Joseph Merrick ne cesse de captiver, autant qu’elle intrigue. Déjà adaptée au cinéma par David Lynch en 1980, son histoire permet une nouvelle fois, dans cette version d’Anne Sylvain, d’interroger les différences ainsi que l’apparente humanité et les profits que cette dernière s’octroie en exerçant sa fascination sur ce, et sur ceux, qui s’éloignent des « normes ».
L’obscurité totale dans laquelle est plongée la salle dès les premiers instants donne lieu à de magnifiques jeux de lumière extrêmement bien pensés. Ceux-ci mettent ainsi en valeur tantôt l’un, tantôt l’autre personnage. Émanant de l’ombre soudainement et sans que le public s’en aperçoive, l’Homme Éléphant apparaît.
Cette gestion des lumières permet par ailleurs la transformation rapide des décors qui, en apparence simples, créent les différents lieux qui constituent l’environnement de vie de Joseph Merrick.
Un jeu s’installe alors entre chaque personnage et Joseph Merrick, qui acquiert progressivement une importance toute particulière et personnelle pour chacun d’entre eux et est, peu à peu « mis en lumière ». De curiosité exhibée devant un public voyeur, à cas clinique à étudier, à l’ami avec qui l’on peut être soi-même, se dévoile au fil des rencontres, la complexité d’une existence et d’un homme. De plus, l’ambiance sombre de cette tragique histoire et l’époque dans laquelle elle prend place, l’Angleterre victorienne, sont extrêmement bien rendues et perceptibles.
Les prestations des comédiens, toutes excellentes, donnent vie à chaque personnage et à leurs traits de caractère ; la froideur d’un docteur manquant d’empathie (Itsik Elbaz), l’ambivalence d’un forain peu scrupuleux (Yves Claessens), la compassion grandissante d’une infirmière clairvoyante (Anne Sylvain), l’isolement d’une reine toujours en représentation (Jo Deseure), la solitude d’une prostituée marginalisée (Bénédicte Chabot), ou la trop grande fierté d’une actrice superficielle (Ariane Rousseau). Plus particulièrement, Othmane Moumen, dans le rôle-titre, parvient à transmettre énormément d’émotions malgré une nécessaire limitation de mouvements due aux différentes prothèses qui le transforment en Joseph Merrick.
Fable réelle, entre obscurité et clarté, et de l’ombre à la lumière, Elephant Man, en partant de l’histoire de la vie d’un homme « différent », explore et questionne notre propre rapport à la norme, nos propres jugements et donc notre propre « monstruosité », laquelle dépasse bien entendu le seul aspect physique.