Auteur : Pierre Maurel
Editions : Casterman / Editions Professeur Cyclope
Sortie : mai 2014
Genre : Fantastique, paranormal
On se perd un peu dans l’histoire d’Elise, mais rien d’étonnant : elle aussi. Quittée par David, elle a du mal à se reconstruire. Heureusement, elle peut compter sur ses amies, qui se démènent pour lui redonner goût à la vie, à grand renfort d’apéros et de soirées dans des bars grouillants d’hommes, potentiellement susceptibles de lui faire oublier son ancien petit ami. Parmi ses copines, pourtant, il y en a une dont elle se passerait bien : une blonde aux yeux énormes et exorbités, cheveux filasse, tête disproportionnée, qui surgit du plafond toutes griffes dehors, traverse les murs, attaque ses proches. Dans ses souvenirs d’enfance qui refont surface, il apparaît que la mystérieuse créature a toujours tourné autour d’Elise, qui s’en était fait une amie imaginaire et lui avait même donné un nom : Iba. A l’époque, la petite Elise assurait à ses parents en colère qu’Iba était la responsable de ses bêtises en cascade, de plus en plus inquiétantes : c’est elle qui détruisait ses poupées, elle qui tentait de mettre le feu au grille-pain. Maintenant, pour l’Elise devenue adulte, il est hors de question d’être condamnée à fuir sa propre vie et à trembler de peur à cause d’un fantôme trop envahissant. Fouillant sa mémoire de fond en comble, elle espère bien trouver l’origine d’Iba pour, enfin, la chasser de sa vie…
Curieux album que ce bref Iba, auquel Pierre Maurel, qui a commencé par des comics auto-édités, imprime son noir et blanc sec, parfois rageur, imprégné de touches de fantastique. L’ambiguïté de l’album réside dans une combinaison de quotidien réaliste, urbain, contemporain et plutôt léger, et d’hallucinations tortueuses, de souvenirs flous, flirtant avec l’horreur, du moins avec une étrangeté angoissante. Le trait est fin, nerveux, marqué par le goût du cadrage cinématographique et un sens aigu des détails, qui rendent bien les sensations heurtées et l’équilibre fragile de l’héroïne.
Il reste que le scénario laisse un peu perplexe. Au début, on se laisse plutôt convaincre par une Iba symbolique, à travers laquelle s’exprimeraient les fantasmes et les pulsions chaotiques d’une jeune femme qui tente de remettre de l’ordre dans sa vie. On accepterait même le dédoublement de personnalité, la folie rampante. Mais Iba devient de plus en plus réelle, des ébauches d’explications se mettent en branle, des détails bizarres du passé interfèrent avec le récit du quotidien d’Elise : l’histoire penche du côté du fantastique, tendance paranormal. Pourquoi pas, mais alors on voudrait des précisions et de la cohérence, au lieu de quoi l’auteur ne nous tend que des perches incertaines, des bribes floues. Pierre Maurel sait raconter une histoire, donner du rythme et piquer notre curiosité, faisant alterner les niveaux de tension, étirant l’écart entre les atmosphères, brouillant les repères temporels. On se serait tout à fait laisser entraîner par une Elise perdant pied, mais hélas, le scénario, à force de suggérer des pistes sans les suivre jusqu’au bout, se dilue progressivement, laissant quelque peu notre intérêt au bord du chemin.
Plus d’informations sur les éditions Professeur Cyclope : http://www.professeurcyclope.fr/