Eden
de Mia Hansen-Love
Comédie dramatique
Avec Félix de Givry, Pauline Etienne, Hugo Conzelmann, Roman Kolinka, Vincent Macaigne
Sorti le 19 novembre 2014
Eden retrace le parcours de Paul dans l’univers de la techno française, du début des années 90 jusqu’à aujourd’hui : Paul sort en rave avec ses amis, prend de la coke, devient DJ dans les clubs de house parisiens, se fait un nom dans le milieu, et essaie de construire sa vie amoureuse avec plus ou moins de bonheur avant d’être rattrapé par la réalité, représentée par sa banquière, au moment où les années de fête paradisiaques commencent à perdre de leur éclat.
Présenté comme le premier film sur la french-touch, le très attendu Eden est inspiré de la vie de Sven Løve, DJ de renom et frère de la réalisatrice, qui a écrit le film avec elle. Lui a largement contribué à la reconstitution précise d’une époque et d’un milieu, tandis qu’elle a apporté les thèmes qui lui sont chers : la jeunesse, la fuite du temps, les trajectoires sentimentales. Le – long – Eden (2h16) alterne donc séances de mix, soirées en boîte surchauffées sous les morceaux techno de l’époque, micro-moments d’intimité amoureuse ou amicale.
Rappelons que Paul et ses amis, au début du film, ont vingt ans ; ils participent à des soirées d’un genre nouveau, font la fête avec les Daft Punk des premiers temps, sont pleins d’ambition… Et pourtant, leur initiation est sans relief. Dans cette soif de fête, dans ces années censément paradisiaques, on ne perçoit ni les tremblements de la jeunesse, ni la fougue, ni le désir, ni tout ce qui fait la grâce fragile de cet âge : le film nous montre des jeunes parisiens branchés pas très drôles et plutôt raides, qui semblent ne rien découvrir, paraissent presque blasés et ont déjà les phrases toutes prêtes pour expliquer les raisons de leur engouement pro techno en 1992.
Relatant une ascension fulgurante dans le monde des clubs et les risques qu’elle comporte, le film ne réussit jamais à transmettre cette fièvre et cette exaltation de papillon de nuit : on passe d’un DJ set à un autre DJ set, entre lesquels s’intercalent des scènes plutôt répétitives et ternes où les jeunes amis prennent le taxi en pleine après-midi, boivent du champagne et partent mixer dans des endroits hype à New York. Les personnages n’ayant ni charisme particulier ni richesse intérieure frappante, et n’évoluant pas spécialement malgré les années qui passent, on s’ennuie déjà un peu avant même que s’éloignent les années de gloire.
Précisément, Mia Hansen-Løve aurait pu vouloir capter l’ennui et le creux de ces existences, mais ce n’est pas le cas ici. À lire les propos du frère et de la sœur, on perçoit une réelle nostalgie pour une époque d’utopie, qui allait bien au-delà de la fête. Pourtant, cet au-delà, le film ne l’atteint jamais : les fans de musique, ceux qui ont vécu cette période scintillante seront sans doute émus à l’écoute des tubes sur lesquels ils ont dansé des nuits durant. Mais un film peut-il se construire sur des clins d’œil musicaux, quand rien, en dehors de la référence explicite à une époque ou à un lieu, ne vient évoquer ou suggérer une atmosphère, un état d’esprit, une certaine émotion propre à un âge de la vie ? Sans grande inventivité ni grand sens du rythme, le style ne transcende ainsi jamais l’anecdote ni le cadre, qui apparaît finalement assez restreint, des années house à la parisienne.
La réalisatrice a eu envie de parler de ses années édéniques à la suite du film de son compagnon Olivier Assayas, Après mai, dans lequel il s’inspirait de ses propres souvenirs de jeunesse post Mai-68. Là aussi, de jeunes gens de bonne famille respiraient l’air du temps entre révoltes et confusions amoureuses, mais ils vibraient d’une énergie qui allait bien au-delà de l’hommage à l’époque. Et aux épisodes proches du récit personnel, Olivier Assayas parvenait à insuffler le regard ému de l’homme adulte penché sur sa jeunesse évanouie. Dans Eden au contraire, c’est bien l’Eden qui manque : la sensation du paradis comme le regard sur sa perte. Au lieu de ça, on assiste sans émotion particulière, mais sans grand déplaisir non plus, à un récit branchouille plutôt plat et peu captivant. C’est pourquoi, quand ça commence à aller mal pour Paul, on n’est pas spécialement attristé : on se dit que s’il avait arrêté plus tôt la coke et les fringues Paul Smith, il n’en serait pas là. Et on se surprend soi-même à avoir une pensée aussi moralisatrice : après tout, la déchéance du boxeur alcoolique dans Raging Bull nous déchirait le cœur.
C’est dire qu’Eden a raté quelque chose, du côté de l’empathie et du portrait intime, et c’est triste : on aurait bien aimé regretter le paradis. Il passe à côté de nous dans l’indifférence, et on se sent bien vieux.