Drive My Car
de Ryusuke Hamaguchi
Drame, Romance
Avec Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada
Sorti le 2 mars 2022
Drive My Car est le neuvième long métrage du réalisateur d’Asako I & II, il relate l’histoire d’un metteur en scène marqué par le deuil, le théâtre et ses voyages en voiture.
Le récit débute sur une histoire d’amour : Yusuke écoute les histoires de sa compagnes, Otto, qui semble plongée dans un état second. Leur immeuble – façon gratte-ciel de Lost in Translation – marque une qualité de vie aisée que permettent leurs succès respectifs dans le domaine artistique ; c’est d’autres luttes qu’ils auront à affronter. Les narrations se diluent dans leur existence dès le préambule de 45 minutes : narration d’Otto, qui les conte après l’orgasme et qui signeront le début de sa carrière, narration des cassettes diffusées sur l’autoradio, narration de Beckett et de Tchekhov que Yusuke s’applique à retranscrire sur scène. La vie désaccordée des personnages forme des récits parallèles, plus durs à entendre ; celui de la maladie fatale de la petite fille du couple, de l’enfance violente de la conductrice Misaki ou des mensonges d’Otto, dont les adultères sont aussi pesants qu’indicibles pour son compagnon et qui resteront ensevelis sous le poids de son hémorragie brutale.
La mort est inhérente au film, elle injecte aux personnages une mélancolie tempérée – car, le texte évite le pathos – et c’est les dialogues qui leur permettent d’adopter une attitude plus spirituelle que soumise à son égard. À contrepied, les pièces évoquées – En Attendant Godot et Oncle Vania – présentent des scènes marquées par une communication paralysée. Abandonner les mots. Les mots se transforment en pierre, selon les termes de l’écrivains Murakami ; en apprivoisant les mots et en les connectant à leurs blessures intimes, les protagonistes solidifient leurs liens. C’est sans cruauté verbale qu’ils communiquent, malgré les tensions latentes, l’amitié, l’amour et l’émancipation artistique prennent le dessus sur les conflits et les drames qui ponctuent les séquences et les routes de campagne. Sur ces routes à l’allure d’estampe japonaise sillonne la Saab 900 rouge de Yusuke avec qui il entretient une relation particulière. Elle semble dotée d’animisme et opère une médiation thérapeutique entre les personnages. Au début réticent à l’idée de la laisser aux mains d’une jeune conductrice, son propriétaire apprend à la partager et à sortir de la bulle qu’il s’était constitué. L’automobile guide les protagonistes comme le réalisateur guide les acteurs, avec une humanité teintée de cynisme.
C’est donc sur le fil d’un road-movie onirique, propre à l’univers murakmien, qu’évoluent les personnages du film d’Hamaguchi, laissant au spectateur la liberté de créer son propre récit. Les ellipses qui marquent la vie des personnages et le scénario permettent d’opérer ce tour de force réciproque : la confrontation du couple n’aura jamais lieu, la scène de violence où Takatsuki commet un homicide involontaire n’est que suggérée, les cassettes audios ne nous laissent que des bribes d’informations, comme les séquences où les pièces de théâtre sont jouées. C’est de ces bribes que le pouvoir créatif du visionneur émerge, elles nous empêchent d’occuper une position uniquement contemplative – que pourrait impliquer l’esthétique du film – et de garder notre regard en éveil.
Couple endeuillé, jeune homme violent ou femme au passé sordide ne tentent pas d’échapper au sort karmique, mais s’y confrontent avec philosophie en comprenant plus qu’ils n’entendent. Les dialogues sibyllins n’engourdissent pas ce récit – pourtant grand format – et permettent de nous plonger dans une torpeur ou abstraction et vicissitudes du quotidien initie au deuil amoureux et nous plonge dans le subconscient de personnages à la personnalité atypique.