Scénario : Zuzu
Dessin : Zuzu
Éditeur : Casterman
Sortie : 16 juin 2021
Genre : Roman graphique
Deux corps disproportionnés s’enlacent dans un moment d’amour lesbien qui paraît plus glauque que sensuel. N’en déplaise à Kechiche, c’est un peu comme ça que Zuzu représente certaines scènes de la vie d’Adèle, scènes sur lesquelles s’ouvre la bande dessinée Cheese. Et si la toute jeune auteure italienne fait un parallèle entre son ouvrage et le film français détenteur de la palme d’or, ce n’est pas pour questionner les attirances de son héroïne mais plutôt pour marquer d’emblée la relation ambiguë qu’elle entretient avec son corps – car tout du long, il sera question du rapport au corps, tant dans les choix narratifs que graphiques, voire même typographiques. Contrairement à ses deux amis qui ne manquent pas une miette ni du film, ni des popcorns qu’ils s’enfilent à pleine bouche, Zuzu – l’héroïne de l’histoire et alter égo de l’auteure – est moins émoustillée par le cunnilingus qui se donne sur grand écran que par le bel homme qui quitte la salle obscure. Mais quand Zuzu l’entend s’extasier sur les corps des actrices, ses propres complexes lui reviennent en pleine poire. Car Zuzu se trouve grosse et sa boulimie, comme des boyaux qui lui sortent de tous les orifices, l’oppresse et la rend malade.
Dans la tourmente
Sa fragilité, Zuzu la partage avec ses deux copains dans des odeurs d’alcools, de cigarettes et de pizzas. Toujours en dech, ils zonent en fumant et en se racontant leurs dernières trouvailles pour se faire de l’argent facilement. D’ailleurs Dario a une idée pour les sortir du pétrin en s’amusant ; ils vont participer à une course de fromage. Mais quel fromage se demande Zuzu, penchée sur les toilettes, deux doigts dans la gorge. A l’image de cette dernière phrase, on ne sait pas si l’on doit se réjouir du sort de ces trois compères liés dans la tourmente ou plutôt s’attrister d’assister aux tourmentes de ces trois compères. Et si finalement c’était un peu des deux ?
Plus qu’une génération, Zuzu et ses amis représentent l’ivresse, le désir et la jeunesse. On sent comme un goût de Burroughs dans la course au fromage et comme une odeur de Bukowski dans les cigarettes fumées au bar. Zuzu se sert de sa marginalité pour créer un univers sombre mais poétique dans lequel un quotidien crasseux est mis à l’honneur. D’ailleurs il faut reconnaître, et cela qu’on aime ou qu’on n’aime pas, que le style graphique – avec son trait simple, ses hachures et son manque de réalisme – est tout à fait adapté au propos. Il y a quelque chose d’aussi touchant que dérangeant dans le traitement des personnages aux proportions incroyables et dans les perspectives alambiquées de Zuzu. Comme des moments de respirations, le récit est parsemé de pages blanches, simplement occupées par quelques mots comme des réflexions personnelles raturées et sans formes. Dans ces petits instants de silence et de cri, Zuzu, à défaut de donner dans le dessin, s’exerce à la typographie, créant des interludes s’intégrant parfaitement à un récit qui jongle entre le rêve et la réalité.