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    The disappearance of Eleanor Rigby : Him / Her

    eleanor rigby

    The disappearance of Eleanor Rigby : Him / Her
    de Ned Benson
    Romance, Drame
    Avec James McAvoy, Jessica Chastain, Nina Arianda, Viola Davis, Bill Hader
    Sorti le 7 janvier 2015

    Pour son premier film, Ned Benson relève un défi atypique : raconter un moment particulier de l’histoire d’un couple en crise en suivant le point de vue de ses deux protagonistes. The disappearance of Eleanor Rigby raconte ainsi en deux films d’environ 1h30 chacun la vie séparée de deux trentenaires quelques mois après la mort de leur bébé, quand la femme, Eleanor, décide de s’éloigner pour une durée indéterminée de son mari, Connor. Dans Him, on s’attache donc à l’expérience de Connor : son quotidien de gérant d’un bistrot de Greenwich Village, ses rapports avec ses amis proches et son père qui l’héberge, entrecoupés par la recherche d’Eleanor à travers la ville. Eleanor, quant à elle, est au cœur de Her : on la suit chez ses parents dans la chic banlieue de New York, avec sa sœur et son neveu, aux cours de fac qu’elle reprend. Et, à quelques reprises, on retrouve dans les deux films quelques scènes furtives où Connor et Eleanor passent du temps ensemble, traitées avec de légères différences : la subjectivité est bien au cœur du projet de Ned Benson, qui ne s’écarte jamais du regard de ses deux protagonistes.

    Cette idée ambitieuse, Ned Benson la décline avec un certain doigté : chacun des deux volets du film est hanté par la présence en creux de l’autre. Comme Connor quand il aperçoit Eleanor sans qu’elle le remarque dans la rue gorgée de soleil, on s’interroge : quelle est la vie mystérieuse que mène l’être qu’on aime une fois absent, lorsque le monde le happe ? Cette Eleanor aux cheveux soudains coupés, autrefois dévastée et qui semble quand il la croise pétiller d’envie de vivre, quelle existence mène-t-elle au loin ? Une des forces du film réside, précisément, dans l’exploration d’une reconstruction qui échappe au sensationnalisme : Ned Benson est sensible à la banalité, à la routine, aux petits moments du quotidien où l’intimité familiale et le rapport aux autres forment de petites bulles réconfortantes, avec un amour qui manque et n’est remplacé par rien, mais loin duquel on arrive à vivre.

    L’absence de l’enfant, elle, est à peine évoquée : en se focalisant sur le lien qui demeure entre les survivants et aux manières qu’ils ont de renouer avec la vie, le cinéaste s’est résolument détourné du morbide pour s’attacher au retour vers la vie, qui n’exclut pas la fuite du traumatisme. Connor et Eleanor, dans leurs efforts, nous touchent : lui par sa mélancolie douce et sa placidité apparente, elle avec ses émotions changeantes, son masque de froideur qui se fissure tandis qu’elle redevient l’enfant de ses parents pour laisser place au naturel, à un tempérament joueur et narquois. James McAvoy et surtout Jessica Chastain, lumineuse et vibrante, sont justes et attachants jusque dans leur égoïsme.

    Mais c’est précisément ce parfum de douceur et de tendresse, cette bienveillance envers tous et tout, qui marquent les limites du film. Certes, ce n’est pas à la détresse de la perte que s’intéresse prioritairement Ned Benson. Toutefois, on est frappé par le côté lisse de l’ensemble : rien ne déborde, et on se surprend à être aussi douillettement installé dans une histoire qui a pour point de départ un événement aussi énorme et incompréhensible que la mort d’un enfant. Cette élégance anesthésiante est en outre rehaussée par l’environnement social sans cesse mis en avant dans le film : on ne sort jamais des beaux quartiers de Manhattan où l’on a sa maison, sauf pour se rendre dans la splendide demeure des parents Rigby, intellectuels francophiles qui n’évoquent la France qu’à travers les Inrocks et le Lubéron. Si tout film n’a pas vocation à montrer les pauvres ou les classes moyennes, on a ici la désagréable impression que l’écrin glamour était l’ingrédient indispensable pour rendre la tragédie cinématographiquement acceptable et appropriée à toute la bohème chic qui traverse le film, et à qui, peut-être, il est destiné.

    Cet aspect lisse, il contamine aussi les dialogues : on parle tout le temps dans Eleanor Rigby, trop sans doute, et avec une certaine affectation. Mais ce bavardage est peut-être là pour faire écho au silence qui entoure la mort de l’enfant : en se fuyant et se cherchant, c’est aussi une parole commune autour de leur fils que Connor et Eleanor aspirent à partager.

    The disappearance of Eleanor Rigby est, au fond, plus un film de morceaux qu’on recolle que de brisures ; plus qu’à deux regards distincts séparés l’un de l’autre, c’est à ce qui les rassemble que s’attache Ned Benson. Malgré les personnalités et les trajectoires différentes de Connor et Eleanor, leurs routes parallèles sont réunies autour d’une même couleur dominante. Ainsi, si on se fond agréablement dans leur intimité chaleureuse, on regrette que le cinéaste n’ait pas donné plus de place aux chocs, aux contrastes, aux aspérités et aux déchirures, en somme à tout ce qui fait l’intensité des fragments comme des pertes.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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