Du 9 septembre au 17 décembre 2022, le centre d’art photographique bruxellois Hangar propose deux expositions temporaires. Avec Des oiseaux, les volatiles se déclinent dans leurs multiples facettes, facétieux, inquiétants ou émouvants, sous l’objectif attentif de treize artistes. Un étage plus haut, la photographe Charlotte Abramov dévoile sa première exposition monographique solo sur le sol belge, intitulée Vollepetrol. Immobiles ou en mouvement, ses images tracent avec tendresse, humour et une pointe de surréalisme, un hymne à la pluralité du féminin.
Des oiseaux menacés
Née de la collection de livres du même nom, Des oiseaux expose 13 photographes de différentes nationalités qui livre chacun leur vision de nos amis les vertébrés tétrapodes à becs sans dents. Tout en proposant une sélection dense et des approches très diverses, l’exposition vise également à attirer l’attention sur le phénomène de disparition des oiseaux. Pollution de l’air, destruction des habitats naturels et essor des pesticides participent en effet de concert à la diminution dramatique des populations aviaires. Si l’on est encore loin de connaître un « printemps silencieux », tel que prophétisé par la biologiste et pionnière de l’écologie Rachel Carson dans les années 1960, il apparaît toujours nécessaire de conscientiser le public sur les répercussions des activités humaines que subissent les espèces avec lesquelles nous cohabitons.
L’arrêt brutal de ces activités pendant la pandémie de COVID s’est promptement révélé bénéfique pour les non-humains, qui ont alors pu réinvestir des espaces dont ils avaient été chassés. En plein confinement, Christophe Maout s’est donc tournée vers le ciel parisien. Renouant avec les origines de la photographie, il combine son appareil avec une paire de jumelles pour obtenir ce format rond caractéristique des débuts du médium. Alors que le monde humain s’est replié sur lui-même, les oiseaux réinvestissent les étendues désertées du ciel.
Des créatures fantastiques qui tendent un miroir aux humains
Véritable travail d’orfèvre, les photographies du couple Angel Albarrán et Anna Cabrera sont de fascinants petits bijoux. Alliant des procédés de tirage photographique existants ou inventés par leurs soins à des prises de vues qui semblent jouer sur les frontières entre réel et irréel, leurs images stimulent l’imaginaire tout en invitant à se plonger dans une contemplation minutieuse. Les couleurs sont incroyablement riches et les textures ajoutent une profondeur supplémentaire aux espaces qu’ils capturent. Certaines photographies évoquent les estampes japonaises du XIXe siècle, d’autres des gravures d’une époque indéterminée. Les oiseaux semblent y devenir des personnages mystérieux vivant des épopées fantastiques, dans des contrées lointaines et inaccessibles. Passionné par les souvenirs et les liens entre identité, mémoire et existence, Albarrán Cabrera cherche à provoquer chez les spectateurs/trices des associations subjectives et intimement personnelles, propices à la création d’une représentation mentale unique, influencée par les contextes culturels et les expériences individuelles.
Leila Jeffreys a, quant à elle, développée une approche hautement collaborative avec ses sujets. Pourtant peu réputés pour leur patience et leur immobilité, les oiseaux qu’elle choisit pour modèle se révèlent bons poseurs. Immortalisés en studio sur fond blanc, et non dans leur habitat naturel, c’est la personnalité des volatiles qui est révélée par le regard tantôt interrogateur, malicieux ou agacé qu’ils semblent nous renvoyer à travers l’objectif. Photographiés à échelle humaine, les couleurs, les plumages, les infimes détails et les expressions de ces sujets frappent les observateurs par leur singularité. Le travail de Jeffreys invite ainsi à questionner notre anthropocentrisme, notre lien aux autres espèces vivantes et les points communs que nous partageons avec elles. Faisant également la part belle aux couleurs éclatantes, Yoshinori Mizutani met à l’honneur le vert acidulé des perruches tokyoïtes. Se substituant aux feuillages des arbres ou peuplant les fils électriques, les oiseaux semblent illuminés de l’intérieur et se détachent des tons sourds du ciel de la métropole.
Un monde étrange
L’atmosphère s’épaissit avec les intrigantes mises en scène de Roger Ballen, dans lesquelles les oiseaux, occupants des espaces clos et délabrés, se font hybrides et ornements, menaces et prisonniers, où le pigeon hagard et bien vivant côtoie le volatile empaillé comme la chimère humanoïde. On pense à l’Alice de Jan Švankmajer, changée en poupée de porcelaine et poursuivie par d’hostiles créatures faites d’ossements et de morceaux de tissus, ou d’objets usés, dont la mécanique claquante et rouillée s’anime sur son passage pour la tourmenter. On retrouve cette atmosphère âpre et imbibée d’inquiétante étrangeté dans les univers de Ballen, à mi-chemin entre le cabinet de curiosités et les scènes incongrues, peuplées de chimères, des enluminures moyenâgeuses. Semblant émergées par fragments d’un mauvais rêve ou d’un inconscient partagé, à la fois très ancien et hors du temps, les figures grotesques de l’artiste renvoient à des peurs enfantines et suscitent le malaise comme le rire.
On retrouve également les clichés de Graciela Iturbide, Rinko Kawauchi, Michael Kenna, Byung-Hun Min, Paolo Pellegrin, Bernard Plossu, Pentti Sammallahti et Terri Weifenbach.
Volle Petrol
Absurde, surréalisme et poésie se côtoient dans les œuvres de la photographe et réalisatrice belge Charlotte Abramow. Mue par une volonté de de mettre en scène les corps féminins dans toute leur diversité et leur pluralité, Abramow donne à ses modèles une dimension onirique, drôle, touchante, puissante. Inspirée par les codes de la publicité, ses mises en scènes sont graphiques et souvent rehaussées de couleurs pop très vives.
Confrontée à plusieurs reprises à la censure – pour un téton de femme apparent ou des épluchures de carottes dessinant une vulve, l’artiste souligne les contradictions des représentations normées, oscillant entre hypersexualisation des corps féminins et censure arbitraire. Pour contourner le rejet par Instagram d’une de ses photographies montrant un homme et une femme torses nus, elle « cache » le téton du sujet féminin en collant par-dessus celui de son partenaire. L’image est alors acceptée. Le processus devient alors une manière de mettre en lumière l’absurdité du double standard qui voudrait qu’un téton de femme soit obscène là ou celui d’un homme ne l’est pas.
Dans Les enveloppes – Guimauve, les vergetures, les amas et les plis de chairs dessinent un paysage fantastique qui évoque aussi bien une vue aérienne d’un désert de sel, une coulée de lave faite de pierre blanche ou un sol lunaire transposé dans la pâle lumière d’une journée grise de notre atmosphère terrestre.
Infos pratiques
- Où ? Hangar, 18 Place du Châtelain, 1050 Bruxelles.
- Quand ? Du 9 septembre au 17 décembre 2022, du mardi au samedi de 12h à 18h.
- Combien ? 7 EUR au tarif plein. Plusieurs tarifs réduits disponibles.