Texte de Colleen Murphy, mise en scène de Georges Lini, avec Sophia Leboutte, Luc Van Grunderbeeck et Félix Vannoorenberghe. Du 13 au 17 novembre et du 20 au 24 novembre 2018 au Théâtre les Tanneurs.
6 décembre 1989, école Polytechnique de Montréal. Un jeune homme armé entre dans une classe, sépare les hommes des femmes et tue ces dernières. 14 décès, toutes des femmes. Suite à cette tragédie classée comme un féminicide, quatre personnes se suicideront. Parmi elles, un jeune homme présent lors du massacre et qui se donnera la mort an et demi après les faits. Endeuillés, ses parents ne survivront pas à la perte de leur fils et imiteront son geste un an plus tard…
December Man s’inspire directement de ce fait divers dramatique et nous plonge dans l’intimité de la famille Fournier, déchirée par ces événements. Le récit, déchronologique, s’étale sur les deux années qui ont suivi la tragédie, en démarrant avec le suicide des parents Catherine et Benoit pour remonter ensuite dans le temps jusqu’au jour de la tuerie. Ce procédé d’écriture choisi par la dramaturge canadienne Colleen Murphy apporte une plus-value scénaristique indéniable et permet justement de répondre à la question : « pourquoi cela s’est-il passé ? ». La pièce est globalement bien rythmée, les scènes de tension sont agrémentées de piques humoristiques et cocasses pour détendre l’atmosphère lourde où chaque protagoniste peut craquer à tout instant. On ressent toutefois une certaine longueur dans les scènes sans la présence du fils Jean, incarné avec prestance par Félix Vannoorenberghen.
Tout le récit se déroule dans le salon familial et va rythmer la vie des trois protagonistes. A l’arrière de la scène, un large mur vitré, fenêtre séparant le présent du passé et des souvenirs, nous permet d’apercevoir un grand écran. Multitâches, ce dernier sert à la fois de de télévision, de calendrier et de traducteur des pensées des personnages. Une mise en scène originale, donc ! On peut toutefois regretter l’utilisation un peu facile de la musique qui, par-dessus certaines images (on pense ici aux archives de journaux télévisés canadiens), flirte avec le pathos et n’a pour autre objectif que de tirer la larme à l’œil des spectateurs. Mais ça fonctionne. Captivé par le réalisme de la pièce, le public se sent concerné émotionnellement par les thématiques abordées et sera même, de manière surprenante, littéralement inclus dans le spectacle au cours d’une séquence brève mais forte.
Malgré un sentiment de répétitions, nous pouvons saluer le mélange de poésie et de cruauté, ainsi que le devoir de mémoire et d’éducation proposé par The December Man. A l’ère des tueries de masse qui font amèrement écho à celle de Toronto perpétrée en avril dernier par Alek Minassian, étudiant misogyne, il est plus qu’important d’aller soutenir ces œuvres artistiques.