Débâcle
de Veerle Baetens
Drame
Avec Charlotte De Bruyne, Sebastien Dewaele, Naomi Velissariou
Sortie le 25 octobre 2023
Un énorme bloc de glace chargé à l’arrière de sa voiture, Eva quitte Bruxelles pour se rendre dans son village natal enneigé. L’été caniculaire qui a marqué son enfance des années plus tôt résonne encore tout entier en elle comme une mauvaise blague, ou plutôt, comme une devinette enfantine dont on ne trouve jamais la solution. Sauf qu’Eva connait la réponse, et elle compte bien résoudre cette énigme une bonne fois pour tout.
Pour son premier long métrage, Veerle Baetens se plonge dans le roman à succès de Lize Split, « Débâcle » (« Het smelt ») paru chez Acte Sud en 2016. D’une œuvre à l’autre, cette histoire est d’abord une explosion 100% belge. Si le livre de Lize Split a été traduit en de nombreuses langues, le scénario prend toutes ses racines dans son pays, du côté flamand. Bien que le film ait été filmé en Wallonie et à Bruxelles, le choix des paysages campagnards qu’on découvre à l’écran est une sélection soignée. D’une part, cela traduit très bien l’atmosphère belge déjà présent dans le bouquin, d’autre part, cela nous plonge dans ce terroir typique qui balise tout le film. Les panneaux blancs aux bords rouges, les promenades vallonées à vélo, les commerces qui tournent grâce à la cliente fidèle et les kermesses sont autant d’éléments nécessaires pour comprendre l’enfance d’Eva, héroïne de cette mauvaise aventure.
Parlons d’Eva justement, gros plans à l’écran entre Charlotte de Bruyne et Rosa Marchant qui nous font basculer entre l’enfance et la vie d’adulte. Un personnage réservé mais plein d’une énergie mystérieuse. À l’affiche du film, Rosa Marchant nous dévoile déjà un regard chargé de promesses (vengeresses), on ne s’étonne pas après avoir vu le film de découvrir que la jeune actrice belge de 17 ans, qui tient sons premier long rôle, a remporté le prix de la meilleure actrice au Festival du film de Sundance aux États-Unis. Ce melting-pot féminin est révélateur de la culture belge. Le scénario dans sa largeur est une réussite et méritait d’apparaitre à l’écran. L’adaptation est quasi fidèle, respectant la structure complexe de l’histoire et maintenant toute sa noirceur.
L’échec de l’éducation
Le mot « débâcle » trouve chute, naufrage, désastre, ruine… comme synonymes. Derrière le scénario, se cache une énigme, autour de laquelle s’agence la descente aux enfers d’une héroïne, mais aussi la vie de nombreux autres personnages aboutis. Débâcle est une fiction pleine de réalisme, elle révèle bien des aspects problématiques de notre génération. Le film aborde les thèmes de la famille dysfonctionnelle, de l’enfance sans repère, de la mentalité des jeunes garçons, mais aussi de la culture du viol. Moins ressenti dans le livre, ce drame adapté à l’écran peut avoir des allures préventives. On assiste avant tout à la destruction d’une vie, à l’impossibilité de la reconstruction après une agression et au besoin, finalement inévitable, de se venger. La vengeance, même légitime, nous questionne alors sur la capacité de la culture à parler de tout. La violence des autres, la violence envers soi, un climat bouillant de réalité qui s’étend sur nos routes de campagnes ou au sein de notre capitale, mais qui parle à tous. On remercie le cinéma d’avoir la capacité de s’emparer d’une œuvre si intelligemment écrite, car cette fiction donne accès à des problèmes plus larges, elle projette les possibles scénarios d’un quotidien bafoué.
Débâcle est une réalisation talentueuse qui marquera la culture belge, tout en prenant soin de questionner chaque spectateur sur la noire réalité de notre époque. C’est une aventure à saisir le cœur bien accroché.