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    De Benjamin Franklin au Ice Bucket Challenge

    À peine sortis de la Neknomination, où les internautes se lançaient des défis bibitifs parfois mortels, les réseaux sociaux nous ont offert l’Ice Bucket Challenge. Ce nouveau challenge, non sans danger, avait pour particularité de s’inscrire dans une démarche caritative, celle de verser un don en faveur de la lutte contre la maladie de Charcot (ou sclérose latérale amyotrophique). Il n’en fallait pas moins aux stars et aux peoples pour s’immiscer dans l’aventure et en faire une réussite mondiale.

    Souvent critiqué pour sa stupidité et sa dérive vers l’aspect purement ludique, l’Ice Bucket Challenge est aujourd’hui tout doucement balayé par le Bee Challenge, ou l’art de se prendre pour une abeille en apposant son soutien-gorge sur sa tête, laissant sa poitrine dénudée être appréciée par le web. Bref, une nouvelle lubie inutile certes, mais qui ne fait de mal à personne.

    Pourtant, les griefs des internautes se multiplient à l’égard de ces pratiques. Inutile, écervelé, symbole d’une jeunesse dépravée, débile, pouffiasserie (sic), … sont autant de synonymes qui caractérisent la colère des internautes car, au final, peu de gens défendent cette tendance qui est tout sauf… nouvelle.

    De fait, ces chaînes vidéo-ludiques ne différent en rien – dans l’absolu – des chaînes de mails que nous recevions il y a cinq années de cela, tout au plus. « Transfère ce mail à trois personnes que tu aimes, et tu seras vraiment une belle personne ! », le genre de phrase que tout le monde a un jour vu passer dans sa boîte mail. Et on peut remonter comme cela quasi indéfiniment. Pourquoi cela fonctionne, quel que soit l’âge ? Parce que l’effet de masse et de mimétisme est plus fort que l’individu lui-même. Accélérée par l’hyper-connectivité du monde actuel, la créativité n’a plus de limite.

    L’effet pervers ne réside dès lors pas dans la décadence de la jeunesse actuelle ou l’imbécilité des gens dans leur ensemble, mais bien dans la multiplication des réseaux sociaux, l’accès instantané à l’internet et la démocratisation des smartphones. Internet va plus vite que le monde auquel il appartient et une vidéo « home made » peut voir le jour en moins de cinq minutes. De quoi alimenter la toile indéfiniment et créer la surenchère entre les réseaux sociaux. Car oui, la participation drolatique d’un homme comme Mark Zuckerberg (l’homme en tongues qui valait 30 milliards) est tout sauf innocente. Tout comme le tapage médiatique de Slate.com autour du Ice Bucket Challenge. Slate qui appartient au groupe Graham Holdings Company, propriété familiale d’un certain Donald Graham, membre du conseil d’administration de Facebook et l’un des plus gros actionnaires privés. Vous suivez ? Bref, pas de quoi crier au complot, c’est juste du business au final.

    Mais revenons-en à l’histoire et principalement au Ice Bucket Challenge. Bon nombre d’entre vous souffre encore du syndrome « c’était mieux avant », car les chaînes stupides de ce genre n’existaient pas. Faux ! Ce type de relais est tout sauf novateur comme dit précédemment. Si l’on remonte quinze années en arrière, les cinéphiles (puisque nous sommes avant tout dans un magazine culturel que diable !) se souviendront du film de Mimi Leder intitulé Un monde meilleur où un garçon (incarné avec brio par Haley Joel Osment) imagine un procédé pour rendre le monde meilleur qu’il n’est : rendre service à trois personnes pour que celles-ci rendent à leur tour service à trois nouvelles personnes. Le titre en anglais est évocateur : Pay it Forward.

    Pay it forward est un concept vieux comme le monde que l’on retrouve dans la lettre de Benjamin Franklin écrite en 1784 et destinée à Benjamin Webb. « J’ai reçu votre lettre du 15 du courant, et le mémoire qui y était joint. Le tableau que vous me faites de votre situation m’afflige, et je vous envoie dix Louis. Je ne prétends pas vous donner cette somme, je ne fais que vous la prêter. Lorsque vous retournerez dans votre patrie avec une bonne réputation, vous ne pourrez manquer de prendre un intérêt dans quelque affaire qui vous mettra en état de payer toutes vos dettes ; dans ce cas, si vous rencontrez un honnête homme qui se trouve dans une détresse semblable à celle que vous éprouvez en ce moment, vous me payerez en lui prêtant cette somme, et vous lui recommanderez d’acquitter par une opération semblable la dette qu’il aura contractée vis-à-vis de vous, dès qu’il sera en état de le faire, et qu’il en trouvera une occasion du même genre {…}« 

    En résumé, la nomination d’une autre personne n’est en rien une pratique moderne puérile. Si les deux exemples précités ont tendance à démontrer qu’elle ne doit s’inscrire que dans un dessein charitable et altruiste, il n’en a pas toujours été ainsi puisqu’elle servit également des causes moins nobles.

    Seule reste l’affinité de chacun avec le relais proposé ou initié, mais en tout cas, cela n’est en rien contemporain.

    Matthieu Matthys
    Matthieu Matthys
    Directeur de publication - responsable cinéma du Suricate Magazine.

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