Daaaaaalí!
de Quentin Dupieux
Comédie dramatique
Avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Edouard Baer
Sortie en salles le 7 février 2024
Le meilleur moyen pour se rendre compte du temps qui passe est sûrement de regarder les sorties cinéma. Si un nouveau film Quentin Dupieux est en salle, alors quelques mois se sont écoulés. En effet, voilà deux ans que le réalisateur sort deux films par an après avoir navigué à un rythme qui était déjà d’une grande intensité, plus ou moins un long-métrage par année. Si on est en droit de se demander jusqu’à quand Quentin Dupieux pourra tenir la cadence et se dire que l’intérêt du public ira de manière décroissante tant il est inondé par les films étranges aux allures parfois bâclées du réalisateur, les chiffres, eux, disent le contraire. En effet, aucun film du cinéaste francilien n’a aussi bien marché en salle que son précédent, Yannick (2023). Et il ne faut pas voir cette donnée comme l’exception, car, si l’on fait abstraction de son avant-dernier long-métrage Fumer fait tousser (2022), le nombre d’entrées des films estampillés Dupieux va de manière croissante. De quoi prédire un encore plus grand succès à Daaaaaalí! ? Rien de moins sûr.
En effet, si le film jouit d’un casting cinq étoiles, comme il en est la norme avec Quentin Dupieux, et d’un sujet, éponyme, connu du grand public, la narration reprend les codes qui ont fait le style du réalisateur, l’absurde, l’absence de causalité, bien loin de ce qui a, peut-être, fait la réussite de Yannick. Car Daaaaaalí! est un objet cinématographique bien moins abordable que le long-métrage porté, il y a de cela quelques mois, par Raphaël Quenard, film décalé dans son fond, mais assez classique, finalement, par sa forme. Par son absence de linéarité, il devient même difficile de résumer l’histoire de Daaaaaalí!, si ce n’est par une phrase simple : une néo-journaliste rencontre plusieurs fois Dali afin de réaliser un documentaire sur lui. Le principal outil qu’utilise Dupieux pour détruire toute linéarité, c’est la protéiformité du peintre qui apparait de manière régulière sous les traits de pas moins de cinq acteurs. Cependant, si ce dispositif s’explique facilement dans I’m Not There (Todd Haynes-2007) où chaque comédien incarne une version de Bob Dylan, un aspect de sa vie, un trait de caractère, avec chacun sa ligne narrative, il n’en est rien ici. D’un plan à l’autre, au cours d’une même séquence l’acteur qui interprète le peintre peut changer, ce qui est loin d’être étonnant tant ils incarnent tous le même Dali, tant il y a peu de variations dans les représentations de l’artiste.
Au-delà de ce dispositif, tout est mis en place pour perdre un spectateur qui essaierait de rationaliser ce qu’il voit : la temporalité est tout simplement abolie. Ce qui nous est donné pour acquis est ensuite démenti, on revient dans le temps, on rejoue certaines séquences, on se noie dans des rêves qui n’en finissent pas. Et si le film suit une narration galopante, il brille par son absence d’intrigue, car le but n’est pas de comprendre une histoire, mais de se figurer une idée, une personnalité. En effet, il ne pouvait être de film plus représentatif de l’œuvre de Dali : surréaliste, plurielle, extravagante. Ce n’est pas la forme qui raconte le fond, mais le fond qui créer la forme.
Mais attention, s’il est question de l’œuvre de Dali ce n’est pas tant de ses peintures que de sa personnalité dont il s’agit. Sa plus grande création reste sa personne, sa personne publique, cette image qu’il a façonnée et qui l’a fait connaître peut-être encore plus son travail artistique. Si Dupieux parle de son film comme d’un hommage, on peut y voir tout de même une assez grande critique de la personnalité du peintre qui y apparait comme invivable, diva, d’un égocentrisme et d’un ego sans commune mesure. Cette remise en question du génie de Dali, ou, du moins, de la nature de son génie, va de pair avec celle du monde de l’art dans lequel l’identité fait la qualité, où l’apparence fait la réalité, où le discours fait l’œuvre.
Avec Daaaaaalí!, Quentin Dupieux replonge dans un cinéma radical et absurde afin de raconter Dali plutôt que de raconter l’histoire de Dali. Et si les aficionados du réalisateur en auront pour leur argent, le film risque de laisser plus que sceptiques celles et ceux qui avaient appris à aimer le cinéaste avec Yannick.