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    Crever d’amour d’Alex Cornil au Rideau de Bruxelles

    D’Axel Cornil, mise en scène de Frédéric Dussenne avec Salomé Crickx, Virgile M’Fouilou, Evariste Ouili, Consolate Sipérius, Issaka Tapsoba, Jérémie Zagba – (© Photo : Emilie Lauwers)

    Du 13 au 31 octobre 2015 à 20h30 au Rideau de Bruxelles

    Après une première variation d’Antigone intitulée J’ai enterré mon frère pour danser sur sa tombe, Alex Cornil écrit une nouvelle adaptation qui se veut moderne et vrai. Interessé par les mythes, on lui doit Magnifico ou encore Du béton dans les plumes. Avec le metteur en scène Frédéric Dussenne et le chorégraphe Serge Aimé Coulibaly, le mythe d’Antigone prend vie sous nos yeux.

    Crever d’amour ou les cris du corps. Car des cris, il y en a. Lorsque se pose, au lendemain d’une guerre civile, la question de vie, de liberté, Antigone défend ses croyances et ses valeurs. Et c’est de ça dont il est question: célébrer la vie ou célébrer les morts. Sont confrontés les valeurs et la religion au changement et au renouvellement. S’il n’y a plus de guerre sur le plan physique, il en reste encore une: celle de la vie contre la mort. Antigone incarne le côté conservateur, Créon le renouveau, au milieu d’un état en perdition qui panse ses blessures avec le sexe et l’alcool. Le Chœur antique muet –à l’image du peuple- incarné par des jeunes, mêle le rire au malaise malgré les interludes avec un duo qui parvient à alléger le poids de la tragédie. La réadaptation d’Antigone d’Alex Cornil se révèle violente avec un langage cru, à l’image d’une après-guerre sanglante. À quoi bon mettre des œillères quand on peut exprimer les choses ? Le fait que la pièce représente la jeunesse d’aujourd’hui sur le plan mondial, serait-ce la raison pour laquelle il n’y a pas de cadre spatio-temporel défini ? Parce qu’au fond, ce cri du cœur, de colère est exprimé par une certaine génération au-delà des frontières.

    Rarement a-t-on vu autant d’émotion, autant de colère sur scène avec des comédiens généreux, possédés par leur personnage. La scène, complètement épurée, laisse place à l’imagination du spectateur et à la prestance et sensualité des corps qui intimident les esprits. Les comédiens, beaux et expressifs, ont un talent prometteur et diversifié qui donne vie au mythe dans une mise en scène originale avec de lourds silences, tantôt évidentes pour laisser le spectateur s’imprégner de ce qui vient d’être dit, tantôt longues, trop longues. Répétitives aussi. Et les disputes où chacun campe sur ses positions, on ne peut s’empêcher de se poser la question: ne serait-ce pas un débat déguisé ? Car il y a, dans cette pièce, aussi bien une allégorie de la vie que l’ivresse de la mort, un choc entre deux mondes.

    Perturbant, entre le sérieux et l’humour,² Crever d’amour nous amène à réfléchir sur les évènements qui constituent aujourd’hui notre histoire : le printemps arabe, le putsch récent au Burkina Faso… La jeunesse est en marche et crie sa liberté. Mais derrière cet espoir se cache toutefois un propos plus sombre. Il ne s’agit pas tant de prendre parti pour Créon ou Antigone. Mais plutôt de s’interroger ici sur la célèbre citation de Tancredi dans Le Guépard de Lampedusa « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change« . L’histoire se répète inlassablement et le personnage de Créon apparait à bien des égards comme un opportuniste qui soutient inconsciemment l’idée selon laquelle les révolutions ramènent bien souvent les choses à leur point de départ. Les effluves d’alcool et de sexe sans lendemain qui inondent la pièce ne sont-elles pas là pour mieux nous rappeler la douloureuse gueule de bois post-révolutionnaire ?

    Raphaëlle McAngus
    Raphaëlle McAngus
    Journaliste du Suricate Magazine

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