Auteur : Hervé Kempf et Juan Mendez
Edition : Seuil
Genre du livre : Bande dessinée
En 2007, alors que l’homme le plus fortuné du monde ne pesait encore que 56 milliards – contre 252 en 2024 – le livre Comment les riches ravagent la planète connaissait déjà un certain succès. Aujourd’hui Hervé Kempf, accompagné du dessinateur Juan Mendez, actualise le propos dans une bande dessinée qui derrière son apparente légèreté, renouvelle son appel à l’indignation.
Des pieds détachés de leurs corps, anonymes, se trémoussent près d’une piscine. Le cuir de leurs chaussures scintille sur le tarmac de l’aéroport privé. Ils portent des louboutins et des sneakers hors de prix quand, d’un geste presque trop fatigant, ils se hissent dans l’hélicoptère familial. On les connaît sans les connaître. Leur quotidien nous fascine autant qu’il nous échappe. Ce sont ces ultrariches, détachés du reste du monde et pourtant médiatisés à outrance, qui à eux seuls peuvent gagner plus que le PIB du Soudan. Et, comme le prouve Hervé Kempf, ce sont aussi eux qui ravagent la planète. Mais n’ayez crainte : au moins, ils le font avec classe.
Le postulat de départ des auteurs est simple et peu surprenant ; la crise écologique trouve son origine dans la révolution industrielle. Le sacro-saint progrès a permis une exploitation plus efficace, certes, mais aussi plus dévastatrice des ressources terrestres. Jusque-là rien de nouveau sur la planète science. Mais l’industrialisation marque également l’essor d’une pensée capitaliste venimeuse basée sur une hyper-consommation et dont la suite logique est la mondialisation. Le capitalisme qui place ceux qui possèdent sur un piédestal d’où il leur est facile d’aiguillonner les politiques à leur avantage. Toujours rien de nouveau, certes, mais une petite piqûre de rappel ne fait jamais de tort.
Mais c’est réellement le néo-libéralisme et la dérégulation des marchés financiers à l’ère Reagan-Tatcher qui a fait pousser les milliardaires comme des champignons. La mondialisation a réduit les inégalités entre les pays – en gros, c’était pire avant – mais les a exacerbées au sein de chaque pays, créant une caste souveraine d’ultrariches qui fausse de plus en plus l’équilibre international. Pour leur défense, le besoin de posséder peut s’expliquer, selon l’économiste Veblen, par une prédisposition humaine à l’ostentatoire. Dans une version plus généreuse du phénomène, certaines populations indigènes distribuaient, lors de cérémonies, des cadeaux si importants que les invités ne pouvaient pas rivaliser. La richesse est un moyen de se distinguer des autres. D’asseoir sa puissance. Et cette rivalité n’a aucune limite. L’homme désirera toujours plus que ce qu’il possède, quel que soit son patrimoine.
Le dessin est naïf mais le propos sans concession. Les caricatures, grossièrement esquissées, avec leur nez protubérant et leurs yeux globuleux ne sont pas là pour vous attendrir. Le dessin humoristique souligne l’absurdité de la situation. Avec un graphisme sardonique, les auteurs listent les petites fantaisies des oligarques. Un gardien payé pour faire écouter de la musique à des massifs de roses. Un immeuble de vingt-sept étages avec une pièce où tombe de la neige artificielle. Un yacht muni d’une douche qui fait jaillir le champagne. On rit jaune pétrole devant autant d’irrespect et de déconnexion. En 2007, le sujet était peut-être scandaleux, voire même audacieux. Mais en 2024, il a perdu de son sensationnalisme. Ceci dit, à nouveau, un rappel est toujours utile. Et peut-être que son format vulgarisé va permettre de toucher de nouveaux publics, tout en actualisant les statistiques et les anecdotes et en se permettant une touche d’humour.