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    Comme son protagoniste, « Orlando » a beau avoir 100 ans, il n’a pas une ride, et ça en dit long sur notre monde

    Orlando
    de Sally Potter
    Drame, Romance
    Avec Tilda Swinton, Billy Zane, Toby Jones
    Sortie en salles le 12 juin 2024

    Oui, tout est politique. Être engagé, ne l’être qu’un peu, ne pas l’être du tout sont autant de postures qui sont, qu’on le veuille ou non, politiques. Ainsi, qu’un film ait des visées militantes ou divertissantes, il montre quelque chose du monde, en parle, pose un point de vue, intéressé ou non, sur le système. Sorti en 1992, l’Orlando de Sally Potter joue avec cette apparente dépolitisation et, par son absence de militantisme manifeste, porte un discours sociétal global, comme un médicament qu’on cache dans de la nourriture.

    Déjà, c’est qui, c’est quoi Orlando ? Au départ, c’est un roman de Virginia Woolf qui retrace la vie d’un noble anglais depuis les années 1600 jusqu’à la rédaction du livre en 1928. Le film, c’est à peu près la même chose : Élisabeth I, sur son lit de mort, implore Orlando, son favori, de ne jamais vieillir. Ainsi, c’est toute une bonne partie de l’histoire anglaise que le jeune homme traverse. À la connaissance de cette donnée, on peut se dire qu’on comprend pourquoi le film est éminemment politique : traverser les âges permet d’avoir un point de vue global sur la société contemporaine, permet de remettre en question les us et coutumes d’une période, etc. Mais en fait, pas vraiment.

    Au strict regard des péripéties, peu de choses ont un enjeu politique. Oui, Orlando rejette la guerre, mais la question paraît plus personnelle que philosophique pour lui. Il ne veut, tout simplement, pas la faire. Oui, Orlando est confrontée à l’impossibilité d’accéder à la propriété en temps que femme, mais ce problème est finalement très secondaires, éludé au profit de ce qui fait véritablement le cœur de la narration : sa vie privée. C’est ici que se jouent les questions idéologiques.

    D’une part, parce que, non, vos yeux n’ont pas ripé, votre esprit n’a pas compris de travers, Orlando devient, à un moment donné, une femme. C’est cette fluidité de genre, cette non-binarité ou non (le débat fait encore rage), qui est l’essence même de l’œuvre. Lorsqu’Orlando se réveille femme, elle dit « same person, no difference at all. Just a different sex ». Car le véritable discours est là. Si pour Orlando, rien ne change, pour tous autour de lui, tout a changé. Droits et devoirs, amants et habits, il y a un avant et un après. Cependant, la néo-jeune femme n’est pas une militante, elle ne se bat pas. Ainsi, l’aspect politique est latent puisqu’il ne nait pas du parcours du personnage mais de la pression de la société qui l’entoure.

    Est-ce parce qu’Orlando est convaincu.e par son impuissance, par l’inutilité d’un combat solitaire, qu’iel est dépolitisée ? Peut-être, ou peut-être n’est-ce que le fruit de son statut de riche propriétaire privilégié par le système. Le fait est que c’est le cynisme qui prédomine. L’humour, la légèreté. Rien n’est grave, alors laissons-nous couler en sachant que rien n’a d’importance et que tout n’est qu’apparences et spectacle. Ce ton, résolument moderne, s’incarne dans un petit détail, un choix de mise en scène des plus culottés, qui tisse un lien étroit avec le spectateur : les regards caméra.

    À de multiples reprises, Orlando consulte son public d’un simple regard, rapide, muet, au beau milieu de l’action, histoire de dire : vous avez bien vu ce que j’ai vu ? Cet élément récurrent accroit l’aspect de recul, de regard sur la société que la posture dépolitisée d’Orlando amène déjà. Elle met le regardeur et le regardé sur un même pied d’égalité, dans la position passive de spectateur. Par tous ces aspects, Orlando apparait comme une des principales sources d’inspirations de Fleabag, série de Phoebe Waller-Bridge, où le discours idéologique est social mais sous-jacent et l’intrigue portée par une protagoniste-spectatrice cynique utilisant le regard caméra afin de construire un lien fort avec son audience.

    On peut d’ailleurs se dire qu’Orlando aurait pu, à l’instar de Fleabag, adopter le format sériel, peut-être plus adapté à retranscrire le temps long. Car si le personnage d’Orlando est extrêmement agréable à suivre, la narration qu’il subit est très mécanique, très chapitrée. On passe d’une époque à une autre de manière très brutale et rapide ce qui laisse un peu sur sa faim tant on aimerait plus rentrer dans les séquences, tant on aimerait des enjeux peut-être plus forts, sans doute plus longs, en tout cas plus suivis.

    Cependant, l’essentiel n’était surement pas là pour les deux autrices. Que ce soit pour Virginia Woolf, qui remet en question la place sociale des femmes et l’absence d’égalité entre les sexes dans un entre-deux-guerres pourtant témoin de l’importance de celle-ci lors de la grande boucherie européenne de la décennie précédente. Ou que ce soit pour Sally Potter, célébrant les genres dans leur diversité et leur fluidité, alors même que les années 80 anglaises, en plein conservatisme thatchérien, sont confrontées à la résurgence de l’homophobie liée à l’émergence du Sida. Et bien, pour ces deux femmes, le fond, le propos est sans doute plus important à diffuser que la forme. Même parler mal, c’est parler de. Ainsi, à l’heure où un nombre grandissant de pays européens basculent vers l’extrême-droite et la remise en question des droits des personnes LGBTQIA+ ou de droits fondamentaux aussi difficilement obtenus que le droit à l’avortement, Orlando peut, à nouveau, être l’étendard de la liberté d’être et de devenir, si tant est qu’il soit soutenu, si tant est qu’il soit une source d’inspiration comme il a peu l’être par le passé. Mais ça, ce n’est pas dans les mains du film.

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