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    Cold War, une romance polonaise

    Cold War
    de Pawel Pawlikowski
    Drame, Romance
    Avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, Agata Kulesza
    Sorti le 31 octobre 2018

    La première impression qui frappe en regardant Cold War est l’extraordinaire élégance dont fait preuve le film. Il n’importe guère que le long-métrage débute dans le cadre résolument peu glamour de la campagne polonaise des années 50, et il n’importe pas non plus que l’amour intense et passionnel qu’il nous raconte tourne progressivement au vinaigre. Les belles images, la volupté et le charme dominent dans ce film aux surfaces feutrées qui joue sur la retenue. Face à la caméra de Paweł Pawlikowski, les plaisirs esthétiques abondent toujours en profusion, quoi qu’il advienne.

    C’est sous une lumière favorable que nous rencontrons donc le séduisant couple au centre de Cold War (Joanna Kulig et Tomasz Kot). Il est professeur de musique et chef d’orchestre, cherchant dans aux quatre coins du pays des jeunes gens pour compléter sa troupe folklorique. Elle est une chanteuse avec un passé mystérieux. Leur attirance mutuelle est une évidence. D’échanges de regards chargés de tension aux étreintes saisies rapidement loin de la foule, leur passion devient amour, et bientôt on les accompagne à travers l’Europe. Nous sommes dans les années 50, et le continent est séparé par la Guerre froide : Varsovie est sous le joug soviétique, Paris emporté par la bohème.

    Certains lieux semblent tout droit sortis d’une carte postale ou d’une page de magazine, comme ces clubs de jazz à l’atmosphère enfumée, tandis que d’autres présentent un décor plus sordide. Mais invariablement, il y a de la beauté dans tous ces endroits. Filmé dans un format 4/3 qui évoque le cinéma polonais de l’époque, Cold War déroule une série de vignettes d’un noir et blanc somptueux, riches en texture, qui témoignent d’un soin extrême dans la mise en scène et le travail photographique.

    Mais ces surfaces glacées mettent également une certaine distance entre le film et son spectateur. Il y a une grande retenue dans l’approche de Pawlikowski, qui se refuse d’aller au cœur de ce qui meut ses personnages. Même lorsque la caméra est à quelques centimètres de leurs visages, ils sont loin de nous. Peu d’émotions se dégagent du film, si ce n’est à quelques moments éparpillés, mais qui sont plutôt rares. Maniant l’art de l’ellipse avec enthousiasme, le cinéaste préfère éluder et omettre, si bien que des chapitres entiers semblent manquer à cette relation de vingt ans racontée en moins de nonante minutes. Qu’est-ce qui amène ces deux êtres à éprouver une passion irrésistible l’un pour l’autre ? En dehors de leur plastique avantageuse et de leur intérêt commun pour la musique, la réponse est vague, et si ce n’était pour l’alchimie entre les deux acteurs, qui donnent chair à la relation, elle le serait encore plus.

    C’est donc avec une certaine distance qu’on observe ce couple souffrir moult épreuves ; celles de la guerre, mais surtout celles du quotidien, qui les piétine progressivement. Que l’image reste belle et la musique envoûtante alors que leurs circonstances deviennent de plus en plus malheureuses est à un certain degré contradictoire. Mais ce grand écart entre les surfaces excessivement séduisantes du film et la dure réalité qu’il évoque semble également approprié pour ces personnages, dont la beauté, le charme et les aspirations artistiques ne suffisent pas à les sauver de la faille qui grandit dans leur vie, leur couple et leur pays.

    Partagé entre l’est et l’ouest, Cold War fait de la musique un champ de bataille, où se confrontent les enjeux du film. D’un côté se place le folklore, expression sincère du peuple polonais mais corrompu par les autorités soviétiques. De l’autre, le jazz de l’ouest, plus élitiste, mais aussi libérateur, au point d’en être vertigineux. Le choix entre les deux semble évident, mais pour ces deux êtres entremêlés l’un à l’autre, et rattachés à leur pays d’origine, rien n’est simple, ni dans la vie ni dans la musique.

    Bien des jours après les avoir appréciées, ce sont les sonorités du film qui subistent dans l’esprit ; les superbes images qui les ont accompagnés aussi. L’émotion, elle, reste encore et toujours contenue, élusive, refusant d’ouvrir le long-métrage à son spectateur. Comme une partition exécutée avec maestria mais à laquelle il manquerait quelques notes, Cold War s’approche d’une certaine idée de la perfection, mais ne l’atteint jamais complètement.

    Adrien Corbeel
    Adrien Corbeel
    Journaliste du Suricate Magazine

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