Clouds of Sils Maria
d’Olivier Assayas
Drame
Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz, Lars Eidinger, Johnny Flynn
Sorti le 20 août 2014
Présenté à Cannes, mais sans convaincre le jury, Clouds of Sils Maria est pourtant une excellente surprise. Une surprise toute relative lorsque l’on voit la belle carrière d’Olivier Assayas, mais ce que l’on savait du projet pouvait néanmoins nous faire craindre un film poussif, bavard et se regardant filmer. Rien de tout cela ici. Clouds of Sils Maria, dont les nuages du titre (original) fait référence à un impressionnant phénomène météorologique de cette région suisse (« le serpent de Maloja »), est une merveille de sophistication et d’émotion.
Maria Enders (Juliette Binoche), actrice de renommée internationale, accompagnée de sa fidèle assistante Valentine (Kristen Stewart), se rend à une cérémonie à Zurich. Elle va y recevoir le Prix Wilhem Melchior, du nom de l’auteur et metteur en scène qui, il y a plus de 20 ans, l’a rendue célèbre. Le trajet vers Zurich est marqué par la mort de Melchior. Maria Enders et Valentine se rendent néanmoins à la cérémonie, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Là, Enders se voit proposer de reprendre la pièce de Wilhem Melchior – Maloja Snake – cette fois non plus dans le rôle qui l’a révélé – Sigrid -, ce rôle devant être tenu par une jeune actrice, mais Héléna, l’autre personnage féminin de la pièce, menée au suicide par Sigrid. Ce passage temporel et de personnage, véritable passage de l’autre côté du miroir pour Maria, ne se fera pas sans difficulté. Pour répéter son rôle, elle embarque Valentine à Sils Maria, dans la maison de l’auteur que leur cède la veuve.
« Il n’y a pas de belle surface sans une profondeur effroyable »
Le film d’Olivier Assayas est un film sophistiqué, en permanence en équilibre sur ses propres ressorts narratifs. D’une très grande maitrise plastique, Clouds of Sils Maria joue sans cesse avec plusieurs niveaux de profondeurs : le passé vs. le présent, la jeunesse vs. la vieillesse, les hauteurs de la montagne vs. la ville, etc. Mais loin de jouer sur un pathos que ces oppositions peuvent amener, Assayas trouve le ton juste en revenant à une certaine essence de son métier. Mettre en scène n’est pas un acte de maïeutique. En se concentrant sur ce qu’il veut nous montrer plutôt que sur ce que nous devrions comprendre, il donne à son film un souffle et un dynamisme que rien ne laissait présager à la lecture du synopsis. Tout dans la mesure, l’esthétique classique et la musique d’Haendel, nous ne sommes pas pris en otage émotionnellement par le dispositif diégétique, ce qui nous amène au paradoxe apparent que les émotions remontent à la surface. Mais pures, complexes, décevantes aussi.
Film sur l’art, la création, la scène, l’écriture, mais aussi le showbizness, les people, l’ère numérique de l’information, Sils Maria, à l’image du serpent nuageux, traverse son époque. Loin d’être hors sol, Sils Maria n’est pas seulement une réflexion sur le vertige du temps qui passe et sur la tyrannie du présent qui nous échappe, mais aussi sur le poids de ce présent qui impose ses normes, ses morales, ses techniques. Pour donner une idée du ton que peux prendre le film pour évoquer ces sujets, c’est l’objet d’un savoureux dialogue entre Val et Maria sur les films de super-héros …l’une (Val) défendant ce cinéma, là où l’autre Maria, éprouve des difficultés à s’emparer du sens de ce cinéma (le cliché de la difficulté de dépassement du gap générationnel est talentueusement évité par l’humour de la scène et le jeux des actrices, même si la scène n’est pas gratuite puisque révélateur d’une harmonie dysfonctionnelle entre Val et Maria).
Sans ressentiments, Sils Maria donne tout de même à voir un envers de décors qui n’est pas des plus beau. Entre coups bas, flagorneries et gros sous, le milieu du spectacle vivant est décrit avec peu de déférence et de sympathie. Mais en regardant Sils Maria, l’on respire : il n’y a pas de cynisme.
Et si l’on insiste un peu lourdement pour le coup, sur cet aspect du film, c’est que Sils Maria, municipalité de Maloja dans le Canton Suisse de Grisons, fut le lieu de villégiature estival d’un certain Friedrich Nietzsche entre 1881 et 1888. Contrepied génial du marécage wagnérien d’un Melancholia (Lars Von Trier, 2011), pataud et anxiogène, le film d’Assayas n’en est pas moins un film qui affirme une influence nietzschéenne certaine. Mais un Nietzsche plus vitaliste, fasciné par la Grèce Antique (La Naissance de la tragédie) exalté par la création. Esprit analytique, scrutateur de son temps, il embrasse les Lumières pour mettre la « probité intellectuelle » comme valeur suprême. (Aurore)
Et donc plutôt que d’être dans la même attitude que Lars Von Trier à la lecture si adolescente du nihilisme, filmant la dépression à la grosse Bertha, Assayas ne s’évertue pas dans la dénotation et laisse le caractère intrinsèquement artificiel du médium cinématographique faire le travail.
Pour autant, il n’est absolument pas nécessaire de maitriser l’œuvre du grand philosophe allemand pour apprécier le film (votre serviteur n’a rien vu d’Ingmar Bergman – à l’exception de The seven seal – et il est plus que vraisemblable que le film fasse régulièrement allusion au maitre suédois).
Assayas réussit un film sensible, qui réunit harmonieusement l’intellect – le sujet du film concerne une œuvre de l’esprit et de la difficulté de sa juste interprétation scénique – et la chaire – nous vivons les 2/3 du film avec Juliette Binoche/Maria Enders et Kristen Stewart/Valentine. Il y a des rires, des pleurs, de la fumée de cigarette, beaucoup d’alcool, des corps qui se baignent et des corps qui se confrontent.
Porté par un casting (essentiellement) féminin impeccable, une photo parfaite, un récit bien construit, et un magnétisme puissant Clouds of Sils Maria ne méritait pas d’être autant boudé au dernier Festival de Cannes. On se réconfortera en disant – à juste titre – que ces prix ne valent rien et que le film d’Olivier Assayas, hors du temps et des modes, sera apprécié à sa juste valeur pour qui prend le cinéma un petit peu au sérieux.