Si on vous demande : « existe-t-il une pièce de théâtre en bruxellois ? », Il y a fort à parier que votre réponse sera Le Mariage de Mademoiselle Beulemans ou Bossemans et Coppenolle. Pourtant, ces deux pièces datent pour la première de 1910, et pour la seconde de 1938. Depuis lors, aucune pièce en bruxellois ne semble avoir imposé sa signature au sein du monde théâtral, si on excepte les productions du théâtre de marionnettes de Toone.
Afin de faire perdurer cette fameuse zwanze qui faisait jadis la fierté du quartier des Marolles, le théâtre Le Fou Rire présente jusqu’au 27 janvier Chez Charlotteke, un vaudeville qui nous emmène dans un kaberdouche rempli de dikkeneks, de stoeffers, de peïs et de meïs, mais surtout d’amour et de nostalgie.
Rencontre avec la metteuse en scène Cathy Thomas et le comédien Marc De Roy.
Les pièces de théâtre en bruxellois se font rares de nos jours. Comment vous est venue l’idée d’en créer une ?
Cathy Thomas : Je travaille dessus depuis 2013. L’idée était de rendre ses lettres de noblesse au bruxellois, de mettre ce dialecte en lumière avec toute la joyeuseté qu’il y a autour. Puis, il y a une forte demande de la part du public.
Justement, avec le temps, existe-il encore un public pour ce genre de pièces ?
Marc De Roy : En tout cas, tout le monde a besoin de rire. Dans ce cas-ci, il est évident qu’on cherche tous à renouer avec nos racines.
Cathy Thomas : Mais attention pour les puristes ! Chez Charlotteke est la nouvelle comédie bruxelloise, nouvelle génération. J’insiste bien là-dessus car tout a évolué. Nous ne sommes plus dans les années 30 et Bruxelles est devenue pluriculturelle, on le voit notamment avec le rôle de Fred qui est tenu par Reda Chebchoubi, il y a un Gantois, une Liégeoise qui vit à Bruxelles…
Marc De Roy : … et un curé américano-belge ! Lorsque les gens me demandent comment est la pièce, je réponds que c’est une comédie bruxello-bruxelloise à accents, au pluriel.
Cathy Thomas : C’est la belgitude en plein !
Est-il difficile pour un acteur de prendre un accent face à un public qui peut lui-même avoir cet accent ? Comment travaille-t-on l’accent bruxellois ?
M.D.R. : Je suis Bruxellois de naissance. J’ai donc entendu et je continue à entendre cet accent sans pour autant l’utiliser. Après, j’ai eu la chance de jouer Madame Chapeau dans la dernière adaptation de Bossemans et Coppenolle au Théâtre des Galeries. C’est donc ancré en moi. Je pense donc que cela ne se travaille pas, on l’a ou on ne l’a pas. {…} Puis, il y a l’écriture de Kevin (Van Doorslaer) qui est fabuleuse.
C.T. : Justement, pour en revenir à la genèse de cette pièce, j’avais l’idée, j’avais les personnages, j’avais le titre de la pièce, je savais où aller, mais je ne trouvais pas l’auteur avec qui me lancer dans le projet et en qui j’avais totalement confiance. Il fallait quelqu’un qui puisse nous faire goûter au surréalisme belge. Kevin était le seul à pouvoir le faire.
Même si il y a de nombreuses expressions, c’est pourtant une écriture plus francophone que réellement bruxelloise…
C.T. : Oui, c’était une volonté de la part de Kevin, il fallait parler comme la plupart des Bruxellois parlent aujourd’hui. Il y a donc des expressions de l’époque qu’on n’a pas maintenues, mais il y en a des nouvelles jamais utilisées sur scène comme « fafoule de Rixensart », « Van Cletteghem », etc. J’ai appris tout ça car le comble de l’histoire, c’est que je ne suis pas Bruxelloise d’origine.
Il ne faut donc pas être Bruxellois pour comprendre cette pièce…
C.T. : C’est voulu. Il fallait que tout le monde puisse comprendre, même le touriste français de passage à Bruxelles. L’important est surtout de ressentir l’ambiance et cette zwanze.
La pièce se déroule dans un kaberdouche, comme le dit si bien le pitch. Quelle importance a ce lieu dans la culture bruxelloise ?
M.D.R. : C’est à cet endroit où les Bruxellois sont libres. Ils ne sont pas dans leur foyer, ils ne sont pas en représentation, ils sont même beaucoup plus chez eux qu’à la maison. Il y a des gens qui y passent des journées entières sans boire une goûte d’alcool, juste pour être bien et voir d’autres personnes. On dit ce qu’on veut, on n’est pas jugé dans un café.
Est-il difficile aujourd’hui de produire un spectacle de A à Z à Bruxelles, avec une telle distribution ?
C.T. : On crée deux projets par an au Fou Rire. Mais c’est vrai que c’est difficile, car il faut que l’équipe s’entende. Il faut des gens porteurs pour le projet. À partir de là, dès qu’on a une chouette équipe, ça devient facile. Pour le reste, comme c’est un projet auquel je crois depuis longtemps, je ne me suis donc pas posée la question.
M.D.R. : Puis, les gens viennent. On est complet depuis le début, c’est incroyable. Alors, il faudra le temps. À l’époque, Bossemans et Coppenolle n’était pas une grande pièce, elle l’est devenue par la suite, à force d’être jouée. Je croise les doigts, mais j’ai l’impression que Chez Charlotteke peut connaître le même succès avec le temps.
Outre la pièce, vous avez produit un cd reprenant la chanson phare de Chez Charlotteke…
C.T. : Tout à fait. On a lancé ce cd, en même temps que la danse du Charlotteke. Pour ce faire, on a été chercher des gens du patrimoine comme Alain Van Brussel. J’ai eu l’occasion de le rencontrer un jour et j’étais fascinée par son univers. Maintenant, il y a un livre qui arrive. Nous avons édité la pièce grâce au soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pensez-vous faire une tournée avec cette pièce ?
C.T. : Absolument. Il y a des propositions d’achat, des gens intéressés et nous allons donc mettre tout ça en route. Mais je vous le dis et je prends le pari aujourd’hui : cette pièce aura un succès phénoménal, j’en suis sûre ! On se revoit dans dix ans ? (rires)
« Chez Charlotteke » est à l’affiche du théâtre Le Fou Rire jusqu’au 27 janvier 2019. Plus d’infos et réservations sur le site du théâtre.