Titre : Chants du cauchemar et de la nuit
Auteur : Thomas Ligotti
Éditions : Rivages
Date de parution : 8 janvier 2025
Genre du livre : Nouvelles fantastiques
Participant à l’effort de diffusion en langue française des œuvres de Thomas Ligotti, dont l’essentiel reste encore à ce jour intraduit, les éditions Rivages contribuent, en l’occurrence, à redonner, au lectorat francophone, l’accès aux Chants du cauchemar et de la nuit, déjà publiés une première fois aux éditions Dystopia, mais désormais épuisés. Une occasion de découvrir cet auteur à la réputation fameuse outre-Atlantique, considéré comme l’épigone le plus crédible de H. P. Lovecraft.
Il y a quelque frustration à parler d’un recueil de nouvelles, d’un recueil qui, comme ici, compte onze nouvelles, dont chacune fait approximativement vingt pages : forcé, faute de temps, à dégager les orientations transversales des textes plutôt qu’à entrer patiemment dans chacun d’eux, un certain sens de l’inachèvement, un certain goût de l’inaccompli se dégage du travail journalistique. Mais, en vérité, s’agissant de ce recueil, qui ne comprend aucune aventure, bien que les récits comportent des événements, et qui s’échine à créer des atmosphères, il apparaît que cette approche transversale est idoine.
D’un bout à l’autre de cet objet livresque, le lecteur traverse, en effet, des atmosphères induites par la rhétorique de la suggestion de l’auteur qui, éconduisant toute portée didactique et interrompant ses récits ex abrupto au moment où l’inexplicable survient et infecte le cours des choses, astreint le lecteur au régime onirique, en ce qu’à l’instar des rêves, ces chants font la part belle à l’étrange, qui déforme les êtres et les décors, et ils se suspendent sans crier gare, laissant leur interprétation ouverte.
Ce régime onirique est en fait un régime cauchemardesque, où les êtres sont réifiés, réduits à n’être que des pantins articulés, pris dans le rêve de sinistres démiurges, aussi aveugles et idiots que Yaldabaoth, le faiseur du monde matériel chez les gnostiques. Que le rêveur qui articule les personnages réponde au nom de Nethescurial, John Doe ou Simon, c’est à chaque fois le mal « tant aimé, si dangereux » qui constitue l’effroyable vérité de l’univers pandémoniaque de Thomas Ligotti, où transparaît la sensibilité pessimiste de l’auteur.
Soutenus par une prose ciselée, quelquefois hypnotisante, aux phrases souvent longues propres à donner forme au tracé labyrinthique caractéristique du rêve, les Chants du cauchemar et de la nuit constituent une œuvre horrifique de premier plan qui donne à ce que le philosophe norvégien Peter Wessel Zapffe nomme « le sentiment de panique cosmique », c’est-à-dire l’horreur d’exister en tant que sujet conscient, diverses intuitions qui n’ont pas pour seule fin de terrifier, mais surtout de fissurer l’armure du langage par lequel nous mettons à distance l’horreur, afin de faire monter, dans le cœur humain, un splendide psaume transpercé d’effroi où se condense toute la détresse de l’existence.