Scénario : Alessandro Pignocchi et Claire Braud
Dessin : Claire Braud
Editions : Casterman
Sortie : 3 février 2016
Genre : essai graphique
Si la bande dessinée a jadis acquis ses lettres de noblesse par le biais de la fiction et de l’imagination, jusqu’à parvenir à rivaliser voire même, le cas échéant, dépasser a littérature sur ce qui fut longtemps son terrain exclusif, le neuvième art a, depuis lors, eu l’occasion de se diversifier. Les auteurs ont joué au touche-à-tout en investissant peu à peu les domaines du journalisme, du grand reportage, des sciences et j’en passe. Aujourd’hui, avec Chantier interdit au public, nous abordons une œuvre qui puise son inspiration dans le terreau très fertile des sciences humaines, et plus précisément de la sociologie.
Chantier interdit au public (version BD) nous invite à suivre quelques personnages au cours de leur quotidien type. Hassan Zidane est sans-papiers, il travaille au noir sur les chantiers de construction via des agences d’intérim qui lui trouvent du boulot de façon hebdomadaire. Bien entendu, pour ces travailleurs irréguliers, les journées ne sont pas toujours roses : on survit plutôt qu’on ne vit. En plus d’être sous-payés, les intérimaires sont sous-traités par leurs boss. Hassan par exemple travaille comme soudeur, il parait que c’est à cause de ses origines maghrébines. Les noirs africains, eux, sont cantonnés au rang de manoeuvre. Sur l’échelle du pire, ils ont atteint l’échelon du bas, et impossible de s’en déloger tant qu’ils n’obtiendront pas leur permis de séjour !
La survie est donc organisée pour tous ces immigrés dans un climat d’exploitation scandaleuse et de racisme primaire. Pressés comme des citrons par des boss (bien en règles, eux), les travailleurs passent leurs journées dans la peur du licenciement séance tenante ou pire : dans la peur du contrôle surprise ! La venue des inspecteurs ou une descente policière surprise rime avec déportation. Quant aux normes de sécurité supposées vous mettre à l’abri d’un accident de travail, on n’y songe même pas. Malgré tout, les travailleurs au noir s’estiment encore chanceux car, eux au moins, ils ont de quoi nourrir leurs familles. Quelqu’un voit une ombre au tableau ?
Le contenu de l’oeuvre prend racine dans un essai de sociologie réalisé par le chercheur Nicolas Jounin en 2008, également intitulé Chantier interdit au public. Sachant cela, on peut difficilement s’empêcher de regretter que la BD ne pousse pas son propos un peu plus loin. En effet, si le lecteur est un minimum au courant du fonctionnement de la société contemporaine, cette lecture ne lui apprendra pas grand chose. Quoique l’effort didactique est intéressant, on a l’impression que les auteurs ont pris le parti de ne pas rendre le propos trop intello, sans doute par peur de rendre la BD indigeste… Dommage, car il en résulte une oeuvre qui ne fera qu’illustrer un état de fait déjà connu, au lieu de nous en apprendre un rayon sur un sujet qui reste à creuser.
L’autre point où le bât blesse, c’est au niveau graphique. Le dessin en noir et blanc de Claire Braud donne souvent la désagréable impression d’avoir été gribouillé à la va-vite par quelqu’un qui ne maîtrise pas spécialement l’art du trait ni celui des nuances de gris… Certes, rien de catastrophique, et de toute évidence le fond prime sur la forme, mais c’est quand même décevant. Si l’on n’ira pas jusqu’à dire que les croquis déservent le propos de l’auteur, on affirmera quand même qu’à aucun moment, on n’a eu le sentiment d’avoir un bel objet entre les mains.