Texte et mise en scène de Joël Pommerat, avec Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Marcella Carrara, Nicolas Nore, José Bardio, photo : © Cici Olsson
Du 10 au 21 mars 2015 à 20h30 au Théâtre National
Après une tournée de deux ans à l’étranger, le Cendrillon de Joël Pommerat revient au Théâtre National, son lieu de création, pour deux semaines.
En vingt-cinq années d’existence, la compagnie Louis Brouillard s’est forgée une renommée internationale, et son auteur-metteur en scène est pour nombre de passionnés de théâtre une véritable idole.
La marque de fabrique de la compagnie est sa capacité à plonger le spectateur dans un univers très particulier, tantôt très sombre, tantôt merveilleux mais dans lequel la frontière entre la réalité et la fiction est friable. Souvent teinté d’un humour grinçant, parfois de chanson populaire, et par dessus tout d’une esthétique très cinématographique.
Après Le Petit chaperon rouge en 2004 et Pinocchio en 2008, Joël Pommerat s’accompagne de comédiens belges pour monter sa troisième adaptation d’un conte populaire avec Cendrillon. Pour dépoussiérer le conte, il a décidé de centrer son adaptation sur le décès de la mère, et fait tourner ses personnages autour de la peur et de la culpabilité de l’oubli et de la crainte du temps qui passe. Tout y est juste, touchant, rempli d’émotions et nous fait passer du rire aux frissons et aux larmes.
Cendrillon est Sandra, « la très jeune fille », qui vient de perdre sa mère et qui dort dans sa chambre provisoire, la cave, la belle maison moderne et luxueuse n’étant pour elle que l’espace des tâches ménagères. Croyant comprendre dans les dernières paroles de sa mère mourante qu’elle doit penser à elle tout le temps sous peine de la voir mourir vraiment, Sandra ne se sépare jamais de sa montre, dont la musique agaçante vient rythmer sa vie toutes les cinq minutes pour ne pas l’oublier.
Au dessus d’elle il y a : sa belle-mère narcissique qui croit que le monde tourne pour elle seule et rêve de célébrité, ses belles-soeurs qui ont bien hérité de la superficialité de leur mère et appellent Sandra Cendrier à cause de son odeur de tabac, et son père qui, dépassé par les événements, se laisse porter au gré des vents et des courants en fumant en cachette dans la chambre de sa fille.
Tout comme dans le conte, une fée vient pour la sauver, sauf que cette fée-là rate ses tours de magie, fume comme un pompier, et en a marre de l’éternité.
Pour coller à cette modernisation du texte, le scénographe et créateur lumière Éric Soyer plante l’histoire dans un carré délimité par trois écrans. Sur ces derniers alternent des papiers peints mouvants donnant une impression d’instabilité et la sensation d’être dans un rêve, ou un cauchemar, et la lumière projetée par derrière offre à d’autres moments des jeux de transparences. Des décors à la musique, tout ici nous invite dans une bulle, un univers à part entière dont il est difficile de s’échapper.
La réussite du spectacle est de faire de ce conte pour enfants un spectacle « tous publics », dans lequel la multitude des niveaux de lecture permet à chacun d’y trouver son interprétation, ses souvenirs, ses démons et ses joies. Une très belle réussite de laquelle il est difficile d’arrêter de parler, tant la remémoration du spectacle évoque d’images, de plaisirs, de chansons et d’envie d’y envoyer le monde entier.