Celui qui sait saura qui je suis
de Sarah Moon Howe
Documentaire
Sorti le 18 octobre 2017
Alors qu’elle présentait au public ukrainien son film « En cas de dépressurisation » (2011) traitant de l’épilepsie de son fils, la réalisatrice Sarah Moon Howe fit la connaissance d’Andrii Fedosov. Ce dernier, venu assister à la projection du film pour profiter du confort de la salle et trouver le sommeil fut frappé par le propos du film. Étant lui-même atteint de cette affection, il entra en contact avec la cinéaste afin de lui proposer la réalisation d’un film sur les conditions d’internement des patients épileptiques en Ukraine. Soins inadaptés, maltraitances ou trafic de dossiers afin de délester les malades de certains de leurs effets personnels sont en effet monnaie courante dans la plupart des centres hospitaliers. Le projet tomba cependant à l’eau et les chemins de Sarah et Andrii se séparèrent.
Trois ans plus tard, Sarah Moon Howe chercha à retrouver la trace d’Andrii pour apprendre sa mort… Cette disparition donnera lieu pour la réalisatrice à une série de questionnements : Andrii est-il réellement mort ? Leur dénonciation des conditions d’internement des patients épileptiques n’aurait-elle pas attiré les projecteurs sur lui et entraîné sa disparition ? Ces interrogations donneront lieu pour la réalisatrice à un retour en arrière quant aux quelques semaines passées avec ce militant des Droits de l’Homme. À travers ce retour réflexif auquel assistera le spectateur, Sarah Moon Howe donnera à voir un personnage complexe, torturé, lunatique et ambivalent.
Mais au-delà d’Andrii, c’est sur elle-même que celle-ci portera sa réflexion, allant jusqu’à déclarer : « J’étais sans doute prête à faire beaucoup de choses pour Andrii. Est-ce que j’en aurais fait autant pour lui sans la caméra ? ». Cette clairvoyance permet ainsi de donner corps à un film prenant, entre documentaire et enquête policière. Peu à peu, le long-métrage mènera le spectateur à interroger la personnalité et les motivations d’Andrii : en questionnant rétrospectivement sa relation avec ce défenseur acharné des Droits de l’Homme, Sarah Moon Howe mettra en évidence divers points troublants quant aux déclarations de celui-ci.
Ainsi, le spectateur sera sans cesse amené à se demander si Celui qui sait saura qui je suis ne tient pas de la fiction, tant les choses apparaîtront comme étant de plus en plus étranges. À ce titre, il convient de saluer la construction du documentaire qui parvient à tenir le spectateur en haleine et à l’amener à douter de sa propre perception. De témoignage en témoignage, le personnage d’Andrii sera déconstruit. Au-delà de cela, ces mêmes témoignages réorienteront ça et là la thématique du film, notamment lors des interventions de la mère et de la grand-mère d’Andrii. Prenant pour point de départ le combat du militant face aux conditions d’internement dans les hôpitaux ukrainiens, le film bifurquera doucement vers la difficulté de réaliser un portrait filmique lorsque le sujet principal cherche à en orienter le déroulement à son avantage. Dans une seconde phase, Sarah Moon Howe présentera le parcours de Fedosov pour obtenir le statut de réfugié en France avant de laisser entrevoir l’ambiguïté du personnage. Enfin, une troisième partie cherchera à lever le voile sur cette complexité, voire à en expliquer diverses raisons. Dans ce cheminement, le regard du spectateur sur Andrii Fedosov changera constamment de façon parfois radicale.
Il est bien difficile d’en exprimer davantage sur Celui qui sait saura qui je suis tant le film est riche. Le risque est de trop en dire, ce qui aurait pour effet de briser toute la dynamique du récit. Contentons-nous donc de conclure en disant que cette nouvelle réalisation de Sarah Moon Howe est merveilleusement construite, complexe, intelligente et déconcertante sans souffrir de la moindre baisse de rythme. En ce qui concerne le cinéma documentaire, nous tenons probablement là l’une des réalisations les plus positivement surprenantes de 2017 !