Ce vendredi 27 octobre, Bruxelles accueillait la chanteuse américaine qui bouleverse depuis quelques années l’univers musical du jazz contemporain. C’est un public impatient qui attend Cécile McLorin Salvant, sur le coup de huit heures, à l’intérieur de la Salle Henry le Bœuf au Palais des Beaux-Arts. Ce dernier fait face à une scène sobre, vêtue uniquement des instruments du trio accompagnateur de Salvant ainsi que de quelques lumières d’ambiance. Tout est misé sur l’excellence et le génie musical de la chanteuse et de son trio dont on comprend qu’ils parleront d’eux-mêmes. Leur introduction par Bozar est donc brève et voilà que montent sur scène Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie) et Cécile McLorin Salvant.
Ils ouvrent avec douceur et humour sur Si j’étais blanche de Joséphine Baker. Parfaite bilingue, Cécile ne rencontre aucune difficulté à chanter cette chanson en français, et à s’en approprier chaque mot, chaque note. Excellent amuse-bouche, le public applaudit la performance fluide de la jazzwoman. Une fois les applaudissements éteints, elle se présente et, s’excusant auprès du public venant des deux côté de la frontière linguistique, en profite pour expliquer qu’elle ne parle que le français et l’anglais… Quelques rires s’ensuivent. L’atmosphère se détend, tout à l’honneur de la musique.
On poursuit avec une adaptation jazz de la chanson d’opéra Somehow I Never Could Believe, et indéniablement la performance la plus marquante de la soirée. Une salle n’a jamais été aussi silencieuse. La chanson commence avec un dialogue entre le génialissime pianiste Aaron Diehl et le contrebassiste Paul Sikivie. Sikivie, un caractère de joueur apparemment incorrigible, tient tout le public en haleine avec ses pizzicati précis, et remplit chaque silence d’un suspense calculé à la milliseconde près. Suivant le mouvement de la mélodie, Cécile embarque à son tour le train de cette chanson intemporellement mélancolique. Chanson tout à fait stratégique puisqu’elle permet de démontrer toute sa profondeur émotionnelle et théâtrale, son impressionnante gamme vocale et son excellente tessiture. Elle passe des notes aiguës à des notes graves avec une aisance à couper le souffle, et tient parfaitement ses vibratos jusqu’à la fin de chaque note. Côté théâtralité, le public ne rate pas une seule de ses paroles pour suivre l’histoire jusqu’au bout, qu’elle semble raconter pour la première fois ce soir.
Le groupe choisit, pour la suite, des chansons aussi fortes en thématiques controversées qu’elles ne sont demandeuses en dextérité musicale. D’Aaron Diehl qui semble poser lourdement ses mains sur les touches de son piano, au batteur Lawrence Leathers qui se déhanche comme les oies dans les Aristochats, la scène semble devenir une cour de récréation pour ses musiciens dont la renommée ne fait qu’effleurer le génie. Pour couronner ce rapport plus qu’excellent, la soirée a fait montre d’une parfaite balance entre le jazz vocal et celui, purement musical.
Le rythme dans la peau, la chanteuse enchaîne les chansons : Black, Brown and White de Big Bill Broonzy, My Man’s Gone Now de Nina Simone, And I Love Her des Beatles. Une heure trente passe comme cinq minutes, et c’est en surprenant le public que Cécile annonce leur dernière chanson. Non pas une, deux, trois… mais quatre standing ovations s’ensuivront ! La chanteuse sera rappelée trois fois après la fin officielle du concert. Elle en profitera pour faire montre de ses qualités purement vocales en chantant, au premier bis, une chanson d’amour a cappella. (D’ailleurs, elle m’avouera plus tard qu’elle espère un jour faire un concert entier a cappella…) Pour les deux autres rappels, elle en profite pour jouer en solo avec, premièrement, le contrebassiste, et deuxièmement, le batteur. Deux excellentes performances qui mènent le public à espérer une dernière chanson avec le pianiste en solo. En vain …
Bref, soirée réussie à tous les niveaux, et le public repart en regrettant le départ trop rapide des incommensurables talents que sont Lawrence Leathers, Paul Sikivie, Aaron Diehl et Cécile McLorin Salvant.