Cela fait deux ans maintenant que je suis de près la progression de l’incroyable chanteuse jazz franco-américaine. J’ai eu l’occasion de la voir pour la deuxième fois hier soir à l’Ancienne Belgique et je n’ai clairement pas été déçue. Je crains que cet article ne soit assez long car j’ai beaucoup de choses à vous raconter !
Pour vous resituer le personnage, il faut savoir que Cécile McLorin Salvant grandit aux États-Unis et commence très jeune l’apprentissage du piano et du chant. Elle rentre en France et intègre le Conservatoire Darius Milhaud. Elle rencontre Jean-François Bonnel avec qui elle enregistre son premier album Cécile. Elle remporte un an plus tard le Concours Thelonious Monk à Washington DC. La chanteuse poursuit ses études à la New School de Manhattan.
Sa popularité ne cesse de croître en Europe autant qu’aux États-Unis ce qui l’amène à se produire un peu partout et à participer aux plus grands festivals de jazz. Cécile a déjà eu l’occasion de se produire aux côtés de célèbres musiciens comme Jean-François Bonnel, Archie Shepp ou encore Wynton Marsalis.
Elle enregistre son deuxième album WomanChild avec le pianiste Aaron Diehl, Rodney Whitaker, Herlin Riley et James Chirillo, sur le label Mack Avenue. Cet album lui vaut une nomination aux Grammys Awards 2014 dans la catégorie Meilleur Album de Jazz Vocal. Elle remporte tout récemment, début 2016, un Grammy dans la même catégorie pour son nouvel album For One to Love.
Cécile Mclorin a entamé le concert d’hier soir sur sa reprise très réussie du standard I didn’t know what time it was. Stratégiquement, attaquer sur cette chanson est un bon choix. Il s’agit d’une belle démonstration de talent qui présente directement les musiciens à travers des beaux solos. Je pense d’ailleurs que cette chanson fut la plus longue de tout le concert. Tout est carré, précis, feutré, magique. Dès le premier accord, dès la première note, la porte « For One to Love » s’ouvre sur Cécile, ses super lunettes et ses musiciens. Ils m’attrapent par la main, et je sais que je suis déjà dans leur univers et que ce concert va passer trop vite…
Celui qui n’a jamais écouter la voix de Cécile Mclorin ne sera que frappé par son timbre et son incroyable tessiture. La jeune femme peut monter haut dans les aigus et descendre très bas dans les graves. Elle passe de l’un à l’autre avec une facilité déroutante. Dans la chanson This Gentleman is a Dope de Richard Rodgers, Cécile nous montre avec quelle aisance elle maîtrise sa voix.
On a sans cesse l’impression qu’elle s’amuse et qu’elle joue avec. Elle chante avec une certaine forme de nonchalance. On ressent une sorte de naïveté, celle d’une gamine insolente. C’est ça qui fait son charme. Ses pianos et fortes sont carrément impressionnants. Elle growl, chuchote, utilise des accents différents, joue avec sa justesse et nous titille sans arrêt…
Dans ce même esprit un peu plus léger, Cécile interprète une chanson que l’on retrouve dans son dernier album, Wives and Losers. Cette chanson date des années 1960 et rappelle aux femmes mariées qu’elles doivent prendre soin de leur apparence pour ne pas faire fuir leurs maris. Cécile aborde cette chanson avec beaucoup d’humour et de second degré. Elle fait revivre ce texte complètement misogyne sur scène. On est prit par son interprétation et il est très difficile de ne pas se laisser aller à rire.
Le standard You’re Getting to Be a Habit With Me fut un véritable moment de musique. La chanson est introduite par un duo voix-contrebasse. Cécile improvise et se laisse complètement aller, au grand plaisir d’un public sous le charme.
La jeune chanteuse a également présenté quelques unes de ses compositions, notamment la chanson Fog. On sent ici la volonté de briser les frontières entre la réalité et l’imaginaire. La voix est pure et le vibrato a presque disparu. La batterie est très légère et caresse délicatement ses cymbales ce qui donne la sensation de flotter. Le piano et la contrebasse sont en retraits et apportent des touches de couleurs, ici et là. Le ressenti s’inscrit dans une veine très surréaliste. La voix semble vulnérable, exposée à tous les risques.
Soudainement le rythme change et le brouillard semble se lever pour revenir à la fin de la chanson. Le résultat est brillant, et entraîne le spectateur dans un autre monde, un monde constitué de songes et rempli de brouillard.
J’ai découvert hier une très jolie ballade, Cry Little Buttercup, Cry, de Maxine Sullivan, chanteuse, trompettiste et tromboniste des années 1940. La mélodie est d’une simplicité à faire tomber par terre les compositeurs actuels. La douceur et l’efficacité de cette ballade m’ont complètement soufflée. Merci Cécile de ressortir des morceaux moins connus ! C’est tout à fait rafraîchissant.
Au bout d’une heure trente, le concert arrive doucement vers sa fin. Le public le sait, je le sais, mais je n’ai pas envie de briser le charme. Cécile annonce qu’elle va reprendre Fine and Mellow de Billie Holiday.
Après avoir vu il y a quelques mois José James interpréter sur cette même scène, cette même chanson et, me rappelant que Dee Dee Bridgewater est également passée à l’AB avec un projet de reprises des chansons de Billie Holiday, j’ai pensé à Lady Day et me suis dit qu’elle pouvait être fière de ses héritiers. Ses chansons sont toujours interprétées, avec la même passion, le même désir de blues et de profondeur.
Après une standing ovation méritée, Cécile et ses musiciens sont revenus sur scène pour jouer un dernier morceau, le standard I Get a Kick out of You. Ils achèvent ce concert sur un double swing effréné et nous giflent à coups de solos endiablés.
Hier soir, Cécile Mclorin Salvant a gagné le cœur du public belge qui l’a salué en se levant une deuxième fois.