Scénario : Clément C. Fabre
Dessin : Clément C. Fabre
Éditeur : Dargaud
Sortie : 09 juin 2023
Genre : Biographie, documentaire
Clément et son frère Robin partent une semaine en Turquie. Pas en tant que touriste, mais à la recherche de la tombe disparue de leur tante, Carole, qui n’a vécu que quelques jours, en 1954. Alors qu’il en discute avec son psy, Clément prend conscience qu’il a actuellement le même âge que son grand-père arménien lorsqu’il a quitté la Turquie, et ce rapprochement le trouble. Commence alors un voyage familial à travers les photos et les mausolées pour explorer des traces d’un passé pas si enfoui que cela.
Récit cathartique
Si le scénario a de prime abord l’apparence d’un Indiana Jones des temps modernes mêlant la réalité bien lourde du génocide arménien dont l’histoire turque (et ailleurs) tente toujours de cacher l’existence, il n’en est rien. Carole est le récit doux et cathartique de deux fils, deux petits-fils français de grands-parents arméniens, qui tentent de voir clair dans cette histoire pour pouvoir vivre avec et mieux appréhender leur avenir, en devenant lui-même père, en ce qui concerne Clément C. Fabre, l’auteur dont c’est également l’autobiographie. Les dialogues et l’histoire sont limpides, clairs sans être didactiques. Clément a confiance en ses dessins, en ses personnages (eux, les deux frères, leur mère et leurs grands-parents maternels surtout) qui expriment beaucoup d’émotions sans trop en dire. Il a confiance en ses couleurs chatoyantes qui reproduisent bien la chaude atmosphère ambiante, en Turquie ou dans les appartements familiaux en France. Il peut se laisser aller à reproduire plusieurs pages de tombes dans un cimetière arménien, en ouvrant l’espace de l’imaginaire, du sacré, en nous faisant revivre ses déambulations sur place.
Carole raconte ce chemin personnel qu’ont entrepris les deux frères. Ils ne se sont cependant pas impliqués de la même manière. Pour Clément, c’est presque un chemin de croix, une nécessité existentielle. Robin semble plus ouvert au présent, à la réalité des révoltes contre Erdogan d’une partie de la population qui bat le pavé, comme déjà conscient du fin mot de l’histoire. Leur complicité à tous les deux est très belle, et leurs petites engueulades aussi. L’auteur a le mérite de ne pas se voir comme un chevalier blanc, porteur de l’héritage arménien effacé par la politique turque, mais se fait le portrait de quelqu’un miné par ce passé, obsédé par trouver cette tombe, passant parfois à côté de cette Turquie moderne, l’œil rivé sur son téléphone.
C’est donc d’un voyage peu courant que les deux frères nous font part. On visite avec eux des cimetières gardés par des gardiens, entourés de murailles, ou rejetés près des autoroutes. Ce n’est pas une Turquie de carte postale, c’est celle d’Istanbul la citadine, celle des manifestations anti-Erdogan à l’époque des printemps arabes, celle des petits cafés où on boit du ayran, celle des rues où l’on fustige un couple de se tenir par la main. Et ces images sont entremêlées tout du long de la conversation entretenue avec leurs grands-parents, restés à Marseille, dans une très belle histoire intergénérationnelle, à la fois recherche personnelle et identitaire, qui nous parle autant de l’Arménie que de nos familles à nous.