Titre : Carcasse
Autrice : Émilie Fenaughty
Éditions : Machialy
Date de parution : 18 septembre 2024
Genre : Essai
Nous en raffolons. Qu’elle soit tendre, saignante, panée, en sauce ou en pâté. Chair de la vache, du veau, du poulet, ou du porc. Nos régimes occidentaux se sont construits autour de la viande. Et même si nous connaissons aujourd’hui le problème éthique que pose sa consommation, nous avons du mal à nous défaire de nos mauvaises habitudes.
Alors Émilie Fenaughty se propose de suivre pour nous les routes du sang. Celles que parcourent les bêtes, dans des conditions avilissantes, avant de rejoindre ce qui sera leur dernière maison. Un hangar mortifère dans lequel les bêtes seront empaquetées avant l’abattage. Comme le laisse deviner le titre – et sans surprises malheureusement – ce qui se passe sur ces routes est un véritable film d’horreur. Les normes européennes, déjà plus favorables aux producteurs qu’aux animaux, ne sont pas respectées. Les veaux sont arrachés à leur mère alors qu’ils ne sont même pas encore sevrés. Ils voyagent de l’Irlande vers l’Europe continentale, jetés dans des bétaillères et sur des cargos, sans manger ni boire. Leur périple s’éternise péniblement, pendant que sur le pont les transporteurs, logés et nourris, se plaignent du retard que prend la traversée. Avec une organisation activiste, Émilie Fenaughty les traque. Elle référence chacune des infractions.
Mais le marché est compliqué. Et surtout lucratif. Ce ne sont pas les chauffeurs qui sont responsables. D’ailleurs, Carcasse n’est pas culpabilisant. Il est surtout révolté. C’est le marché qui impose ses règles. Et le marché dépend du consommateur. Des fromagers, pourtant engagés et respectueux de leurs bêtes, témoignent. Ils ne peuvent faire autrement que de se débarrasser de leurs chevreaux mâles avant qu’ils ne grandissent. Ils n’ont pas la place pour un cheptel exponentiel mais, enfants, ils sont nécessaires à la récolte du lait. Si les Français mangeaient du chevreau, leur mort serait au moins utile. Mais les habitudes alimentaires ne s’expliquent pas. Et surtout, elles ne se changent pas.
Émilie Fenaughty chapitre son sujet. Veau sur mer, Irish breakfast, de la vodka et du poulet. Des titres qui font saliver pour des sujets qui donnent la nausée. La route est longue pour nous également, confrontés à la réalité déshumanisante – n’est-il pas d’ailleurs désanimalisant que la langue ne leur concède même pas un mot à la hauteur de leurs souffrances ? – de ces bêtes qu’on transporte jusque dans nos assiettes. Mais l’autrice et journaliste française adoucit son récit à coup de considérations personnelles. L’enquête se transforme en une œuvre hybride à mi-chemin entre l’autobiographie et le réquisitoire. Le procédé rend le sujet moins indigeste, certes. Mais ça lui donne aussi l’air d’être plus anecdotique, malheureusement.