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    Cahier d’un retour au pays natal aux Martyrs

    De Aimé Césaire, mise en scène de Daniel Scahaise, avec Etienne Minoungou

    Du 24 février au 4 avril 2015 à 20h15 au Théâtre de la Place des Martyrs

    Entre 1936 et 1939, le Martiniquais Aimé Césaire, âgé d’une vingtaine d’années, écrit le Cahier d’un retour au pays natal, un long poème en prose aux accents lyriques et incantatoires, influencé par le surréalisme. Dans ce texte, Césaire déplore aussi bien l’aliénation du peuple antillais, coupé de ses racines africaines, que l’idéologie colonialiste. Le Cahier inaugure le versant littéraire de la négritude, concept fondé par Césaire et Senghor durant leurs années d’études en France, qui vise à rejeter la négation de l’homme noir produite par le système colonial français.

    Mais le projet de la négritude ne se limite pas aux questions noires et coloniales. Il regroupe une génération de jeunes intellectuels ayant pris conscience de leur assujettissement culturel, rassemblés autour d’un idéal d’humanisme concret et universel, qui pousse tous les opprimés du monde à relever la tête et à affirmer la beauté et la puissance de leur identité. La négritude, qui « plonge dans la chair rouge du sol, dans la chair ardente du ciel » est fondamentalement, dans le Cahier, une révolution poétique et politique. Hanté par l’esclavage, le racisme et la déshumanisation des Noirs, Césaire y forge une langue à la fois rageuse et lumineuse, pour exprimer sur le mode prophétique la renaissance du peuple noir libéré et célébrer la vitalité de « ceux qui n’ont jamais rien inventé ».

    Le comédien burkinabé Etienne Minoungou se saisit du poème habité par la fougue du jeune Césaire et en livre, en une heure, de larges extraits. Il est seul en scène, le décor est très simple, la musique et les effets de mise en scène sont absents : tout est fait pour que le souffle de l’auteur nous parvienne de la manière la plus brute, dans toute sa radicalité. De fait, le texte est fort complexe : le vocabulaire, qui n’exclut pas les néologismes, est extrêmement riche et souvent rare. Derrière l’oralité manifeste du texte, on entend toute la culture lettrée de Césaire, nourrie notamment par l’ivresse poétique de Rimbaud.

    Il est frappant de voir que ce texte difficile, si marqué par le cri, la profération, le rythme physique et la flamboyance de la langue, a du mal, ici, à résonner jusqu’à nous. Peut-être parce que cette langue si riche, si exubérante, mélange de sophistication et de sauvagerie, a besoin de temps pour nous parvenir, un temps qu’Etienne Minoungou, hélas, ne nous donne pas. Son interprétation privilégie la colère, les ruptures, les heurts, mais dans un mouvement trop brusque pour se laisser apprivoiser par un public qui découvre ce texte déjà si téméraire. Le comédien ne le fait pas suffisamment respirer pour qu’on le comprenne ; on aimerait parfois qu’il s’efface davantage pour ne devenir qu’un intermédiaire entre la voix du poète et le public, afin de le laisser déployer jusqu’à nous son lyrisme et sa verve. La langue de Césaire s’entend mieux si elle s’impose au cœur du silence, qui exige plus de temps, plus de nudité, plus de souplesse que ce que nous propose Minoungou. Alors qu’elle devrait nous éblouir, elle provoque surtout la confusion. On s’en retourne au texte écrit, qui n’en finit pas de palpiter. Juste sous la langue.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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