Titre : Cadavre exquis
Auteure : Agustina Bazterrica
Editions : Flammarion
Date de parution : 21 août 2019
Genre : roman
Imaginez un monde où tous les animaux ont contracté un virus mortel pour les humains. Pour survivre, l’Homme a éradiqué toute forme de vie animale. Mais la recommandation des cinq fruits et légumes par jour ne lui suffisent pas car l’appel de la bidoche est plus fort que tout. Qu’à cela ne tienne, l’Homme a la solution. S’il ne peut plus manger de viande animale, il mangera une toute autre viande…
En quelques paragraphes, Agustina Bazterrica, telle une magicienne qui manierait de façon redoutablement adroite les mots et les esprits, parvient à nous faire accepter un postulat de départ extrêmement scandaleux : des élevages de bétail humain tout à fait légaux pallient désormais au manque de viande. Et c’est parti pour une plongée dans un univers décadent qui vous laissera bouche bée. On suivra Marcos qui travaille dans l’abattoir familial, désormais reconverti. On y assomme, démembre, découpe et écorche des hommes, femmes et enfants pour en faire du boudin ou des escalopes.
Heureusement pour le pauvre lecteur malmené, si ce gouvernement de fiction autorise la vente, la chasse ou même la possession d’un peu de « bétail » pour la consommation personnelle -au cas où l’envie d’un bout de bras se ferait sentir- il veille à éviter les dérapages : si on peut dévorer ces humains consommables sans encourir le moindre risque, hors de question de les réduire en esclavage sous peine d’exécution… Ouf, tout est sous contrôle dans la dignité et la bonne humeur.
Le style aux phrases courtes et impersonnelles de l’autrice est en totale adéquation avec la froideur tant de l’histoire que du héros, ce dernier n’étant plus que l’ombre de lui-même depuis la mort de son enfant. Agustina Bazterrica vous apporte sur un plateau la vie dévastée d’un homme dans un monde qui l’est tout autant, autrement dit, un terreau fertile pour construire un récit d’une originalité folle qui chamboulera vos repères et ce, jusqu’à la toute dernière ligne.
Cette histoire donne avant tout à réfléchir sur le rapport de l’Homme à la nature. Cette position autoproclamée de roi de la jungle, dont les limites sont toutes relatives, laisse la porte ouverte à toutes les dérives, dont sa propre extinction. L’autrice nous propose une interprétation métaphorique de l’avenir de l’Homme, cette bestiole sauvage qui, si on l’y autorise, montrera ses côtés les plus vils dans le but de goûter au pouvoir et d’asseoir sa supériorité.
D’autres thématiques sont abordées dans Cadavre exquis telles que l’extrême pauvreté, la surconsommation, l’éducation ou encore la surpopulation et justifieraient que ce livre soit lu par le plus grand nombre.
Alors malgré certains passages qui pourraient donner des haut-le-cœur, ne jetez pas le pavé mignon sur les défenseurs de ce livre. Il est vrai qu’il est horrible, dément, dégoûtant, abominable… mais par-dessus-tout indispensable. Alors respirez un grand coup et mordez à pleines dents ce Cadavre exquis qui en vaut largement la peine.