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    Brûler. Sous les étoiles, Lucy nous regarde 

    C’est un monde de sensations. Sonores, tout d’abord. À l’intérieur des Halles de Schaerbeek, le plateau est gigantesque, l’origine des bruits multiples. On s’inquiète légèrement : dans quoi suis-je venu mettre les pieds (et les oreilles) ? Des êtres humains s’y meuvent. Il y a nous et eux, et elles. Des formes humaines qui se déplacent étrangement, de manière saccadée, couvertes d’un plastique en tulle, s’amourachant de briques ou d’os en verre et en plastique. Autour de nous, répartis à intervalles plus ou moins réguliers, des ateliers ou des « stations » : dessus, de l’argile pour pouvoir modeler, des ossements pour recomposer, des miroirs, des cordes. Au centre de la pièce, un énorme casque provenant du futur, composé de plusieurs néons lumineux. Des écrans vidéo nous immergent encore davantage dans cet univers.

    Que faire, quand nous sommes privés de nos assises ? C’est un spectacle déambulatoire, nous a-t-on dit. Alors, on déambule. On observe ces humains et humaines nous frôler, lécher le sol de leurs corps déboussolés comme des vieux robots à la recherche du nord. L’espace qu’on pensait safe devient dangereux, d’une dangerosité contrôlée. Je ne sais plus qui est qui, qui a sa place pour aller « au théâtre » et qui joue pour ceux et celles qui « ont une place ». Il faut être aux aguets, l’action, le mouvement peuvent venir de partout. Ce ne sont que des touchers, des regards, mais ils ont leur importance, te rendent soudain important. Je pensais assister à un spectacle, voilà que je me rends compte faire partie du spectacle. De la possibilité de me rendre en hauteur, quand j’aperçois ce public qui nous observe, je n’en prends pas la peine. Ayant d’abord cru que ces places étaient réservés pour certaines personnes, j’ai ensuite vu une petite partie du public décider de quitter le plateau pour se réfugier aux balcons, avoir une vue d’ensemble. Je décide de rester dans les sensations mouvantes, de n’avoir qu’un aperçu du monde créé, mon point de vue, mon humanité.

    La salle est plongée dans une semi-pénombre, éclairée par toute une série de points lumineux, faisceaux et spots dirigés parfois par les personnes au cœur du spectacle. Les machinistes sont à vue, l’ordinateur de la DJ Rokia Bamba aussi. Le son qui nous a accueilli se fait moins fort. Une voix prend soudain toute la place. C’est la soprano afro-américaine Claron McFadden. C’est Lucy. Ce sera notre source, notre compagne tout au long de ce chemin qui entreprend de parler de Lucy, de nous, des étoiles, oui, car il y bien un chemin. Ce squelette découvert il y a quelques décennies et vieux de plusieurs millions d’années, dont on a vite déclaré qu’il était femme, sera notre lanterne.

    Mais qui était Lucy ? Nous ne nous inquiéterons pas de psychologie ici ou de son rapport à sa mère, vous l’aurez compris. À travers Lucy, c’est de nous qu’on parle. De notre vivant, mais aussi de notre mort. Aurons-nous droit aussi, dans 3 millions d’années, si l’être humain existe toujours, à être redécouvert, exposé  intimement, squelette ouvert aux regards ? Quels corps dans cette salle parmi ces corps mouvants se désintégreront complètement ? Et dans 3 millions d’années, comment nous percevra-t-on, comment percevra-t-on Lucy ? Sera-t-elle femme, homme, enfant, non genré, non binaire, trans ? Cela aura-t-il une importance ? Saura-t-on vraiment un jour qui était Lucy ? Savons-nous vraiment qui nous sommes…

    À côté de Claron McFadden, qui déambule à nos côtés, forte de son charisme et de son micro, les mots de Caroline Lamarche en bouche, les danseurs et danseuses continuent leur ronde, incessante, transformée, animale, seul.e ou à plusieurs, se moulant la tête de plastique ou sculptant de leurs mains des figures informes. Leurs corps différents font soudainement d’eux et d’elles des sujets, renforcés par les mots de Lucy. Ils sont indistincts, pour certain.e.s, leur genre performé est une interrogation qui flotte dans l’air, sans demande de réponses, leur sexe un mystère, même si certain.e.s osent brièvement l’exposer, dont Simone Aughterlony. Ce sont des êtres humains qui bougent, sous les étoiles, mis en scène par Jorge León, dans les halles de Schaerbeek, brièvement avant que les lumières ne s’éteignent (ou ne s’allument, et que chacun.e reprenne sa vie, fort.e.s de cette expérience). 

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