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    BlacKkKlansman, le vrai du faux

    BlacKkKlansman

    de Spike Lee

    Biopic, Comédie, Policier

    Avec John David Washington, Adam Driver, Topher Grace

    Sorti le 19 septembre 2018

    « Dis joint is based  upon some  fo’ real,  fo’ real shit  ». C’est avec ce message porté par le franc-parler de Spike Lee que s’ouvre son dernier film, BlacKkKlansman. En d’autres mots « ceci est une histoire vraie », un avertissement qui n’est pas superflu tant les événements évoqués par le cinéaste semblent avoir été purement inventés pour les besoins de son film. Racontant l’improbable histoire d’un flic noir infiltré chez les suprémacistes blancs dans l’Amérique des années 70, BlackKkKlansmann traite de racisme, d’identité ethnique et d’oppression policière, mais se révèle être un film aussi difficile à croire qu’à prendre au sérieux.

    Il faut dire que malgré la réalité et la gravité du sujet, le ton est léger pendant la majorité du film, souvent humoristique et mené par une une ambiance très 70’s (avec tout ce que ça implique de coiffures, musiques et pattes d’eph). Dans la forme comme dans l’atmosphère, on est proche d’un «  buddy cop movie », à l’image de The Nice Guys. Le duo de policiers est ici composé d’un homme noir (John David Washington) et d’un homme blanc (Adam Driver) : au téléphone, le premier se fait passer pour un suprémaciste blanc auprès du Ku Klux Klan, tandis que le deuxième joue en personne le rôle que son collège ne peut évidemment pas endosser. Leur but est d’infiltrer le groupe raciste afin de déjouer les actions criminelles que ses membres pourraient mettre en place. Aussi improbable soit-il, leur plan fonctionne plutôt bien  : du « grand sorcier » du KKK David Duke aux sous-fifres bêtes à manger du foin, ces « fiers représentants de la race blanche » se font duper par la machination du duo policier. Ne nous mentons pas : il y a un plaisir assez jubilatoire à observer ces personnages dérisoires se faire égratigner sans vergogne dans leur idéologie nauséabonde.

    Mais parce qu’ils sont le plus souvent présentés comme des personnages de comédie, il est difficile de les prendre totalement au sérieux. Les répliques et les situations, occasionnellement hilarantes, finissent par devenir répétitives, et à force de jouer sur un ton velouté et spirituel, les enjeux graves du film perdent en force. Si le sujet du long-métrage colle très bien au cinéma de Spike Lee, le traitement humoristique lui sied visiblement beaucoup moins. A l’inverse, les acteurs sont tout à fait à l’aise dans le registre comique. Dans le rôle de David Duke, Topher Grace est brillant, à la fois pathétique et terrifiant. En militante passionnée, Laura Harrier est passionnante, tandis que John David Washington trouve dans son premier rôle principal l’occasion d’osciller entre sincérité et sarcasme. Face à lui, Adam Driver se débrouille sans encombre, mais se révèle moins inspiré qu’il a pu l’être par le passé, malgré l’intérêt de son rôle. Il joue ici un policier d’origine juive, partagé entre les privilèges que sa peau blanche lui octroie et son appartenance religieuse, qui lui vaudrait, si le bruit se répandait, d’être opprimé par le KKK… et par ses collègues.

    Car BlacKkKlansman ne se contente pas de pointer du doigt le racisme du KKK, mais aussi celui de la police. Dès le départ, le constat est clair pour le personnage de Washington  : la xénophobie est endémique dans cette institution qu’il rejoint pourtant de bon cœur. Agacé, il tente de changer les choses pour le mieux, ce qui… survient contre toute attente. L’improbabilité de ce retournement n’a pas échappé à certains observateurs, tels que le cinéaste Boots Riley qui a décrié les nombreux écarts pris par le film avec la réalité, soulignant à quel point cette police qui change de visage relève de la fiction, comme bien d’autres éléments de l’œuvre. De la part d’un réalisateur comme Spike Lee qui dénonçait si ardemment les forces de l’ordre dans Do the right thing, cette clémence est particulièrement surprenante, et terriblement contradictoire.

    Elle est d’autant plus déconcertante que Lee est souvent clair dans son message, au point d’en devenir didactique, comme lorsqu’il cite Naissance d’une Nation. Premier « blockbuster » de l’histoire du cinéma, le film raciste de D.W. Griffith avait révolutionné le septième art avec son montage parallèle, et avait changé le cours de l’Histoire en ravivant la flamme vacillante du Ku Klux Klan. Dans une séquence qui y fait explicitement référence, Lee s’approprie la technique de montage de Griffith pour mettre en parallèle les suprémacistes blancs avec les militants noir. Le détournement est magistral, et son message essentiel, nous rappelant si besoin était que clamer « black power » n’est pas la même chose que crier « white power ».

    Spike Lee est encore plus explicite dans ses références à Donald Trump, dont le nom n’est jamais prononcé, mais qu’il cible explicitement. Les allusions à l’actuel président américain sont pléthore tout au long du film, assené avec des clins d’œil terriblement appuyés. De manière plus large, c’est à l’Amérique d’aujourd’hui que le long-métrage s’adresse, sans subtilité. Mais l’heure est-elle au raffinement ? La dénonciation est abondamment claire dans les dernières minutes du film, qui reprennent quelques images documentaires des événements de Charlottesville. En clôturant son œuvre sur les néo-nazis qui ont organisé une marche de haine l’année dernière, Lee change radicalement le ton de son film, certes engagé, mais jusque là assez léger, voire optimiste. L’effet est assez saisissant. Tout à coup ces personnages de racistes caricaturaux prennent une vraie existence. Ce ne sont peut-être pas eux qui ont brandi des croix gammées ce jour-là, mais ce sont leurs héritiers, et aussi bêtes soient-ils, ils restent incroyablement dangereux. C’est une fin terriblement effective, bien plus que tout ce qui a précédé, et le film semble quelque part ne pas avoir fait le nécessaire pour « mériter » une telle conclusion. Peut-être parce que c’est la première « histoire vraie » qu’il nous raconte.

    Adrien Corbeel
    Adrien Corbeel
    Journaliste du Suricate Magazine

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