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    Blackbird au Théâtre de la Vie ou la complexité de l’interdit

    Mise en scène de et avec Sarah Lefèvre et Jérôme de Falloise, co-mise en scène de Raven Ruëll – crédit photo Céline Chariot

    Du 20 septembre au 24 septembre à 20h00 au Théâtre de la Vie

    Il y a quinze ans, ils ont été amants. Elle avait douze ans. Il en avait quarante. Il se nommait Alex et elle Una. Aujourd’hui, six ans après sa sortie de prison, elle voit sa photo avec son équipe de travail par hasard dans un journal. Ella fait sept cents kilomètres pour le revoir. Il a changé de nom, de métier, de ville, de vie. Elle n’a jamais pu échapper à son ancienne vie qui l’a hantée. La lourdeur de la rencontre va dévoiler la vérité, si jamais vérité existe. Il n’est pas aussi coupable qu’elle le pensait. Elle n’est pas aussi victime qu’elle le pensait.

    Avec Blackbird, Harrower pose la question de deux destins écrits par l’interdit social ainsi que celle du jugement porté par la société sur ce qui ne rentre pas dans le cadre de ce qu’elle considère comme « normal ». Au-delà du jugement, le scénario creuse dans l’intime de l’histoire des deux personnages, exprimant la version de chacun et les conséquences qui en ont découlé. Derrière la version pédophilique de la société, une histoire d’amour tellement intense qu’Una et Alex n’ont jamais pu dépasser.

    Le besoin des deux personnages d’exprimer à haute voix le lourd fardeau qui dormait en eux ne devient possible que par leur rencontre quinze ans plus tard. Les deux acteurs parviennent à tenir seuls la scène pendant une heure et quart tout en variant les palettes du jeu et la sinusoïdalité de l’émotion. La force de leur jeu se base dans la transformation des rapports supposés être binaires en des relations dialectiques complémentaires : ils semblent se haïr mais ils s’aiment, ils se repoussent mais s’attirent, leurs mensonges deviennent alors vérités.

    Leur face à face plaidant se transforme en duel avec le spectateur, qui devient témoin par effraction de cette revisite de la mémoire à laquelle il ne pourra pas échapper. Créant des personnages qui obéissent à la double mécanique attraction / répulsion, Harrower démontre avec toute subtilité que même les sentiments les plus haineux ne fonctionnent pas par rupture avec le passé, mais ils obéissent à la loi de la continuité du geste amoureux.

    La volonté minimaliste du(es) metteur(s) en scène renforce le pouvoir des mots, et aussi celui du silence pesant entre deux êtres qui ont tout à se dire mais n’osent rien partager. Rien d’autre que les corps sur ce plateau, si ce n’est qu’une grande porte rouillée aux sons métalliques retentissants qui exprime aussi bien que les paroles, à chaque fois qu’elle s’ouvre ou qu’elle se referme, la lourdeur de la culpabilité.

    Nous pouvons reprocher au spectacle, autre que l’inégalité du jeu des acteurs qui retombe à plusieurs reprises, l’emploi excessif du statique. Quoique racontant l’incapacité d’approcher l’autre, le spectateur se lasse de cette immobilité qui devient de l’ordre du démonstratif. La fin, quant à elle, laisse à désirer.

    Patrick Tass
    Patrick Tass
    Journaliste du Suricate Magazine

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