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    [BIFFF 2022] Barry Sonnenfeld : « Men in Black ne sortirait plus aujourd’hui »

    Rencontre avec un monstre du cinéma de science fiction qui se décrit lui-même comme un réalisateur de documentaire. Au programme: l’industrie du cinéma, son actualité, la Famille Addams, Men in Black mais aussi la pornographie et une double pénétration qui tourne mal.


    Olivier Eggermont : C’est votre première fois au BIFFF, quelle est votre première impression du festival ?

    Barry Sonnenfeld : Je viens d’arriver mais je suis surpris déjà par la taille du festival. On m’a dit qu’il y avait à peu près 40.000 personnes durant tout le festival. Je vis au Colorado et nous avons aussi un festival de film tous les ans mais c’est petit comparé au BIFFF. Ce festival est énorme. L’autre chose qui est bizarre pour moi, c’est que je ne sais pas pourquoi j’ai été invité à un festival fantastique (rires). Quand je vois le genre de film qui est diffusé, je n’en regarderais pratiquement aucun. Je n’aime pas les films d’horreur et les films effrayants. Donc je suis excité d’être ici mais je me demande aussi pourquoi (rires).

    O.E. : Car vos films sont des classiques dans le genre de la science-fiction. D’ailleurs, tout le monde les connaît ici. Quel sentiment cela vous donne-t-il ?

    B.S. : À l’exception de Wild Wild West, je trouve qu’aucun de mes films n’est fantastique. Ce sont des films réalistes au contraire. Je suis persuadé que tout ce qui se passe dans Men in Black pourrait être réel. Et j’aurais vraiment aimé avoir un neuralyzer dans les années avant que je ne rencontre ma femme quand je me ridiculisais à des rendez-vous (rires). La Famille Addams est en fait un documentaire sur une famille parfaite qui aime ses enfants de manière inconditionnelle. Je me rappelle qu’à l’époque les critiques disaient que c’était la famille la plus dysfonctionnelle au monde mais pour moi au contraire c’est la famille la plus fonctionnelle, ils aiment leurs enfants. Pour moi, je suis un réalisateur de documentaire (sourire).

     

     

    O.E. : Il y a aussi une nouvelle série sur la Famille Addams à présent. L’avez-vous déjà vue ?

    B.S. : Non pas encore. Mais j’ai le sentiment que ça va être drôle. Mais aussi plus sombre et sanglant que mes films. Mais nous verrons. J’ai adoré faire ces films mais à un moment il fallait passer à autre chose. Il y a eu la pièce à Broadway, le dessin animé, des films animés, … Trop c’est trop. On ne peut pas faire la même blague indéfiniment.

    O.E. : En parlant de tourner la page, que pouvez-vous nous dire sur les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

    B.S. : En fait, dans le milieu du cinéma et de la télévision, jusqu’à ce qu’un projet aboutisse, vous pouvez travailler sur 18 projets et il est possible qu’aucun d’eux n’aboutisse. Ou bien vous pouvez ne travailler sur aucun projet et un jour vous avez un coup de téléphone. En ce moment, je développe plusieurs choses mais rien de vraiment concret. Metal Men par exemple est annulé et c’est dommage car nous avions un pitch fantastique et un jeune scénariste très doué qui s’appelle Jeremy Robbins. Mais vu que DC Comics étaient en relation avec Warner et que Warner était en relation avec HBO Max, on ne pouvait le faire que sur HBO Max. Et HBO Max n’en voulait pas. Donc c’était mort d’avance.

    O.E.: Cela en dit beaucoup sur l’importance qu’ont pris les plateformes sur l’industrie cinématographique. Qu’en pensez-vous ?

    B.S. : C’est un vrai bordel. Tout d’abord, faire la promotion d’un film est devenu extrêmement cher et les studios ne veulent plus faire que des films rentables. Donc il faut faire des films basés sur des comics, des séries télévisées ou sur n’importe quoi qui a déjà un public. Donc si vous arrivez avec une comédie irrévérencieuse, ils ne sont pas intéressés car ils vont devoir dépenser 40 millions de dollars pour la promotionner. Et même si vous pouvez faire le film pour moins de 10 millions, ça ne les intéresse pas car ils devront tout de même dépenser les 40 millions en promotion. C’est pour ça qu’on ne fait plus que des films Marvel, DC ou des suites et films origines. Donc la seule autre option, ce sont les plateformes comme Netflix, Apple, Disney, etc. Et même eux cherchent à présent la rentabilité avant tout. C’est de plus en plus dur de faire des films intéressant, irrévérencieux et qui sortent de l’ordinaire.

     

     

    O.E.: Et pourtant dans Men in Black à l’époque, vous êtes arrivés à créer un monde original et créé à partir de votre imagination.

    B.S. : Mais vous ne pourriez pas sortir Men in Black aujourd’hui. C’était basé sur un petit roman graphique de Lowell Cunningham dont peu de gens avaient entendu parler et si vous faisiez Men in Black aujourd’hui, ce serait un film totalement différent. Notre film était un film à petit budget, une sorte de « buddy movie ». Il n’y avait pas beaucoup d’effets spéciaux, quelques aliens et une grosse scène d’action à la fin mais si le film était réalisé aujourd’hui, il y aurait dix fois plus de scènes d’action, moins de scènes impliquant des relations interpersonnelles. Aucun studio ne réaliserait cette version de Men in Black aujourd’hui. Et c’est dommage.

    O.E. : J’ai lu d’ailleurs qu’à l’époque, vous aviez insisté et fait jouer quelques ficelles pour donner le rôle principal à Will Smith. Et que c’était même le choix de votre femme.

    B.S. : Oui tout à fait. Nous avons lu le script ensemble et quand nous avons fini, je me suis tourné vers elle et je lui ai dit « Tommy Lee Jones » et elle m’a dit « Will Smith ». Spielberg, qui est arrivé plus tard comme producteur, voulait Chris O’Donnell qui est un très bon acteur mais si votre femme vous dit Will Smith, il faut lui donner Will Smith. Donc j’ai eu un dîner avec Chris O’Donnell pour le convaincre que j’étais un réalisateur exécrable, il a abandonné le film et je me suis arrangé pour que Will Smith, Spielberg et moi-même puissions nous rencontrer. Et tu ne peux pas rencontrer Will et ne pas être happé directement par son charisme. Donc j’ai eu Will Smith parce que ma femme le voulait (sourire).

     

     

    O.E. : Pour vous, quelles sont les règles les plus importantes à respecter pour un réalisateur ?

    B.S. : Tout d’abord, utilisez des objectifs grand angle, faites parler vos acteurs rapidement et vous n’avez besoin que d’un seul gars drôle par scène. Vous n’en avez pas besoin de deux. Et bien sûr, soyez gentil. Ne criez jamais et traitez les acteurs comme vous traiteriez vos enfants. Non pas qu’ils soient des enfants mais différents acteurs ont besoin de différentes choses comme les enfants qui ont besoin de différentes manières de communiquer avec eux. Et enfin, dirigez toujours votre film derrière la caméra. Ne vous asseyez pas à 20 mètres devant un écran, il faut être près pour que les acteurs sentent qu’ils jouent pour un public. Et avec ça, vous irez loin.

    O.E. : Quel serait votre conseil le plus important pour un jeune réalisateur qui se lance dans le milieu ?

    B.S. : Si vous voulez devenir un réalisateur, il y a deux manières de le faire. La meilleure manière, c’est d’écrire vos propres scénarios. Car un scénario est la seule chose que vous contrôlez. On ne peut pas vous l’enlever. On peut remplacer un caméraman ou un réalisateur mais quand vous possédez un scénario et que les personnes qui font le film veulent vraiment ce scénario, ils vous laisseront réaliser. Les studios aiment les réalisateurs qui ne coûtent pas cher et qui dirigent leur premier film. Mais la meilleure manière d’apprendre à devenir un réalisateur et de travailler comme monteur. Car en montant, on apprend la structure d’un film, son cheminement, où placer la caméra, pourquoi certaines scènes fonctionnent ou non. Monter et écrire sont donc les deux meilleurs chemins vers la réalisation pour moi. Et si vous êtes un homme, portez toujours une cravate. Ou trouvez un moyen pour que les gens se souviennent de vous. Qu’ils se disent « Hé, ce gars a l’air responsable. » Et quand on ne se souvient pas de votre nom, qu’on se souvienne que vous êtes le gars avec la cravate. Et si vous êtes une femme, habillez-vous pour votre rôle. Ne venez pas avec un pull. Regardez-vous. Vous n’avez pas de trous dans votre jean et vous portez de belles chaussures. Vous avez une belle coupe de cheveux. Vous pourriez être un réalisateur (rires).

    O.E.: Vous avez aussi démarré votre carrière dans l’industrie pornographique. Qu’avez-vous appris d’important dans ce milieu ? Que gardez-vous de cette époque ?

    B.S. : Ce que j’ai appris de plus important c’est : ne travaillez jamais dans le porno (sourire). Un ami et moi avions juste acheté une nouvelle caméra 16mm, c’est parfait pour les vidéos pornographiques. Et mon ami connaissait un producteur de films pornographiques. L’autre chose que j’ai appris c’est que dans le porno, vous ne voulez pas utiliser d’objectifs grand angle. Car un jour j’ai été couvert d’excréments humains quand une double pénétration a tourné horriblement mal. Donc n’utilisez pas d’objectif grand angle. Et ne faites pas de pornographie, ça n’est pas du tout érotique. Et la dernière chose que j’y ai appris, c’est que dans le porno, ce sont les femmes qui ont tout le pouvoir. Car elles peuvent aider un homme à avoir une érection ou non. Et voilà (rires).

    Olivier Eggermont
    Olivier Eggermont
    Journaliste du Suricate Magazine

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