S’il y a bien un film qui a fait parler de lui lors de ce BIFFF 2018, c’est Trauma. Annoncé comme aussi extrême et dérangeant que A Serbian Film, le film chilien était logiquement interdit aux moins de 18 ans et était précédé d’une réputation sulfureuse. L’occasion de rencontrer l’équipe du film pour un entretien entre atrocités de la dictature chilienne et mouvement #MeToo.
« Dans Trauma, nous montrons une violence extrême. Et pourtant de mon côté, je déteste la violence. J’ai même peur de la vue du sang », nous confie en riant Lucio Rojas, le réalisateur de Trauma. Pourtant, son film était décrit comme un parangon de violence dérangeante. Si au final, il n’atteint (heureusement) pas les sommets de violence gratuite de son peu glorieux cousin serbe, deux scènes restent particulièrement éprouvantes.
« C’est vrai qu’on nous a souvent fait la comparaison avec A Serbian Film, un film qui a beaucoup divisé », reconnaît Lucio Rojas, le réalisateur de Trauma. « Mais dans notre cas, plus que chercher le scandale et la controverse, nous voulions parler des violences qui se sont réellement déroulées. Avec les deux thèmes du film : la dictature et les violences sexuelles. Le film allait inévitablement être difficile à voir. Trauma est un film que beaucoup ne verront qu’une seule fois. Ce n’est pas le genre de film que tu regardes plusieurs fois. Et si tu le fais, c’est que tu n’es pas très bien dans ta tête (rires). Si la violence du film te plaît, c’est que tu as un problème. Pour moi, c’est une bonne chose qu’une œuvre fasse polémique quand elle traite de violences bien réelles. Mais seulement quand la violence sert un but dans le film. Pas quand il s’agit de violence gratuite. »
Une violence bien réelle que le Chili a vécu jusqu’à la fin des années 80 et qui reste très peu connue en Europe. Pour le réalisateur, il s’agissait aussi de faire prendre conscience de cela à ceux qui ont moins été sensibilisés à l’histoire de son pays. Mais pas uniquement. Il dénonce également un déni des événements historiques dans son propre pays.
« Au Chili, nous savons tous ce qu’il s’est passé durant le régime de Pinochet. Mais il reste une partie de la population qui nie ce qu’il s’est passé », dénonce-t-il. « Bien sûr, montrer cette violence n’était pas un choix facile. Financer un tel film a été très difficile mais nous voulions faire un long-métrage sans aucune censure. Trauma ne sera pas distribué sur Netflix ou sur des grandes plateformes de téléchargement. Mais ce n’est pas grave. »
Et Macarena Carrere, une des actrices principales du film d’enchaîner en mettant le doigt sur « la relativisation de la violence que certains essaient de faire. On dit que la femme qui a été victime de violence a exagéré ou que ce n’était pas si grave. Quand nous faisions le film, nous avons lu l’histoire d’un enfant de deux ans qui avait été violé par un groupe de trente hommes. Notre film est extrême mais parfois, la réalité est encore pire. »
Et dans Trauma, le moins que l’on puisse dire, c’est que les actrices subissent des violences sans nom. Une situation qui ne les a pas dérangées, au contraire. Pour elles, il était important de dénoncer des atrocités innommables subies par certaines femmes ainsi que la violence vécue tous les jours. Un message qui trouve une résonnance particulière dans le contexte de libéralisation de la parole avec le mouvement #Me Too.
« Quand nous avons tourné le film, ce mouvement n’avait pas encore été lancé et le scandale Weintstein ne s’était pas encore produit », se souvient Ximena Del Solar, qui incarne une autre héroïne du film. « Il y a des choses du quotidien que nous montrons dans le film. Comme la scène où les filles rentrent dans le bar et tous les hommes les observent de manière lascive, sans aucun respect. Ce que nous racontons dans « Trauma » se déroule dans un autre contexte mais raconte une violence que beaucoup de femmes rencontrent aussi et dont beaucoup souffrent. Je crois que le film a acquis une dimension politique avec l’actualité. Il est devenu d’autant plus pertinent. Bien sûr, toutes les femmes ne subissent pas des violences extrêmes comme celles que nous montrons. C’est une manière graphique et extrême de dénoncer des violences plus petites du quotidien. Une manière aussi de détecter ces violences et d’y mettre fin avant que celles-ci ne s’aggravent. »
Loin de l’accueil hostile réservé à A Serbian Film il y a quelques années, les spectateurs du BIFFF auront cette fois bien supporté la vision de Trauma. Certains l’ont même plébiscité comme un des meilleurs films du festival. Un festival dans lequel nos amis chiliens se sont vite sentis comme des poissons dans l’eau.
« L’atmosphère du festival est très particulière mais c’est incroyable », s’enthousiasme Macarena. « De plus, le public a plutôt bien réagi au film même si Trauma est compliqué à appréhender. Ce n’est pas un film devant lequel le public va rire. L’atmosphère est sombre et ça s’est senti dans la réaction du public. »
« Moi ce qui m’a vraiment plu, c’est que le public applaudisse pendant le générique de début du film lorsque les noms de toutes les personnes qui ont fait le film apparaissent (sourire) », intervient Ximena. « C’est une manière de rendre hommage aussi à tous ceux qui ont rendu ce film possible et ça m’a touché. »
Et le réalisateur sud-américain de conclure en rendant hommage au festival : « C’est une ambiance magnifique avec un public incroyable mais aussi beaucoup d’activités à faire partout. C’est difficile de faire ce genre de chose dans notre pays puisque le cinéma fantastique et d’horreur n’a pas le même succès au Chili. »
L’équipe ne sera en tout cas pas venue en Europe pour rien puisqu’à la suite du BIFFF, ils se sont envolés en direction de Bilbao afin de participer au Festival du Cinéma Fantastique Local. Un autre événement où, à n’en point douter, Trauma aura encore fait parler de lui.