Tombville de Nikolas List
Comme quoi.
Comme quoi, un film peut avoir coûté seulement 10 000 €, ça ne l’empêche pas forcément d’être prétentieux. Nikolas List, lui, dit plutôt qu’il a fait une œuvre « radicale ». Mais, a-t-on envie de lui répondre, ce n’est pas parce que l’on sort avec un mal à la tête, un mal aux oreilles, un mal aux yeux et que l’on n’a rien compris, qu’on a devant soi un film « radical », intense ou audacieux (cela dit, j’ai eu à peu près ces sensations face à Gerry de Gus Van Sant, sauf que là, c’était bien).
Que se passe-t-il dans Tombville ? Un type, David, se retrouve quelque part où il cherche quelque chose, pour repartir ailleurs. On n’en saura pas beaucoup plus, et on ne pourra que partager ses angoisses lorsque, à intervalles réguliers dans sa course éperdue sur les raisons de sa venue, il se prendra la tête entre les mains ou hoquettera pour se demander « Mais qu’est ce qui se paaaaaaaasssssse !?!?! ».
Donc résumons, on ne sait pas où il est, ni d’où il sort, ni où il va, ni pourquoi il y est ou pourquoi il y va. Et lui non plus visiblement, même s’il est suffisamment raisonnable pour avoir envie de se barrer le plus vite possible. On ne sait même pas vraiment quand il est dans la forêt (si, si, il doit y avoir une forêt, j’ai vu des brindilles) ou quand il se trouve dans une pièce (au bout d’un moment j’ai aperçu un comptoir de bar, j’en ai donc déduit qu’on était dans un troquet, mais c’est à peu près la seule fois où j’ai vu quelque chose d’à peu près net). Parce que le grand truc de Tombville, c’est que tout est noir, tout le temps, qu’on voit juste des gros plans de bouts de visages qui paraissent éclairés à la lueur d’un briquet et des lumières fragmentées aveuglantes par intermittence, et que la caméra bouge tout le temps pour nous montrer que David court à perdre haleine parce qu’ « on sait pas ce qui se paasssssssse !!! ». On a aussi des méchants très méchants, par exemple une sorte de savant fou qui t’arrache les ongles des pieds (ça fait mal), un genre de magicien qui apparaît et disparaît en crachant de la fumée, un bandit façon Bruce Willis belge qui marmonne des trucs comme « j’sais pas ce qu’on lui a fait à ta pute de mère ». Parce qu’évidemment, il y a un traumatisme d’enfance dans tout ça, et on voit David se taper sur la tête à mesure que les flashs de souvenirs affluent, avec sa mère malsaine et sado-maso qui lui filait des revolvers quand il était gosse et qu’il a l’air de chercher – même si, je vous le rappelle, il ne sait pas bien ce qui se passe. Là, Tombville essaie de faire dans le thriller psychologique à la sauce Spider de David Cronenberg, sauf qu’il n’y a pas de personnage, pas de profondeur, et, on le craint, pas vraiment d’idée.
On ne peut pas enlever cela à Nikolas List. Toutefois, il sait faire des effets, des mouvements de caméra heurtés (ah ça, pour bouger, ça bouge), des lumières, des sons. Des sons surtout, il y a des voix inquiétantes qui sortent de tous les côtés, des sirènes stridentes, des cris crispés, des froissements, des halètements rauques (au cas où vous l’auriez oublié, on court beaucoup parce qu’on cherche quelque chose), des souffles insistants, des bbzzz et des mmmmmmmmmm de machines mal réglées. Et surtout, il y a un battement perpétuel qui scande le film, pour bien nous montrer que tout cela est intense, que le héros est poursuivi et que si on se dépêche pas pour trouver ce qu’on doit trouver, ça pourrait très mal tourner.
En somme, si Tombville était un train fantôme ou un palais de l’horreur à la kermesse, ça serait très fort et ça ferait vraiment, mais vraiment très peur. Mais je suis à peu près sure que si vous montriez la vidéo faite au gsm de votre aventure au Manoir du Diable à la foire du Midi à votre petit cousin, il ne prendrait pas vos frissons au sérieux une seconde. Et, malheureusement, c’est bien un film qu’a voulu faire Nikolas List. Et pour un film, hélas, il ne suffit pas de bidouiller des bruitages, de mettre un personnage dans l’obscurité au milieu de nulle part avec des fous furieux et de nous perdre dans les méandres d’un cerveau visiblement torturé pour réellement créer un monde, captiver l’attention du public ou faire palpiter son cœur un peu plus fort que d’habitude. Il ne suffit pas de mettre ensemble tout ce qu’il y a d’anxiogène en matière de sons et de lumières, pour susciter l’angoisse. Et il ne suffit pas non plus de faire un film court, au tempo très haché entretenu par une pulsation constante, pour mettre du rythme. Tombville est le plus long film d’une heure cinq que j’ai vu. Ça, en effet, c’est radical.
Soulmate d’Axelle Carolyn
Axelle Carolyn vient au BIFFF depuis dix-neuf ans. Look grunge contrastant avec sa voix douce et son sourire timide, elle semble donc particulièrement touchée d’être là, cette fois-ci non pas comme bénévole ou spectatrice, mais en tant qu’auteur de Soulmate, son premier long-métrage. Connaissant l’ambiance du festival, elle s’estime chanceuse d’avoir échappé pendant la présentation de son film aux « À poil !!!!! » déchaînés dont les BIFFFEURS sont, il faut le dire, bien capables devant une jolie cinéaste.
En dix-neuf ans, Carolyn a dû s’en enquiller, des esprits qui jouent à cache-cache dans les escaliers, des morts-vivants dégoulinants et des hurlements glaçants dans de vieux manoirs. C’est bien ce qu’elle a voulu faire, et en même temps ne pas faire : une histoire de fantômes, mais un peu autrement. D’ailleurs, elle nous prévient : « je sais, normalement ce genre de film va très vite, avec plein de scènes effrayantes… Mais j’ai voulu faire quelque chose de différent… Alors s’il vous plaît, si vous pouvez prendre le temps d’entrer dans l’histoire et de lui donner sa chance… ». Elle le sait : les BIFFFEURS ont tendance à réclamer du sang, des poursuites et du rebondissement macabre. Il y en aura en effet peu dans Soulmate.
Pour essayer de surmonter la mort accidentelle de Tristan, son mari, dont elle ne se remet pas, Audrey décide de s’isoler dans un vieux cottage gallois le temps de reprendre des forces, loin de ses proches et des médecins qui la surveillent de près depuis qu’elle a tenté de mettre fin à ses jours.
Si on voulait rencontrer des esprits, on n’irait pas plus loin que le village où s’est installée la jeune femme, tant le décor, romantique anglais à souhait, est idéal. La brume est épaisse, le souffle du vent nocturne se mêle à la pluie battante, les collines gorgées d’humidité sont propices à la rêverie comme aux ruminations mélancoliques. Sans parler du cottage où le parquet craque, le feu crépite, les lourdes portes de bois grincent et des grondements sourds semblent provenir du débarras dont, évidemment, Audrey n’a pas la clef. On paniquera un peu avec elle, enfermée dans sa chambre une hache à la main, mais pas longtemps. Rapidement, elle se rend compte que l’ancien propriétaire, charmant jeune homme au regard triste qui s’est suicidé trente ans plus tôt pour rejoindre sa femme disparue, occupe encore les lieux dont il est prisonnier. Assez rapidement, le film se focalise sur la relation qui se tisse entre Audrey et le spectre. Ils jouent aux échecs, partagent leur malheur, et peu à peu Audrey s’apaise, se remet au violon, revient vers la vie. C’est sans compter le fait que tout le monde au village ne voit pas la venue de cette étrangère capable de discuter avec le mort tant regretté d’un bon œil, et que les fantômes eux-mêmes peuvent devenir très possessifs…
Si Soulmate est plutôt classique dans sa forme et son développement, on se laisse prendre dans l’histoire, dans le rapport doux et léger qui unit les deux personnages, dans la douleur d’Audrey et surtout dans ce cottage désuet où on irait bien soigner nos coups de blues à coup de thé et de feux de cheminée. Axelle Carolyn maîtrise le rythme, assez lent mais nullement ennuyeux (une fois qu’on a admis qu’il y aura décidément peu de frissons et d’adrénaline et que ce n’est pas à Soulmate qu’on pourra s’en donner à cœur joie avec les rituels Non n’y va pas !!!! et ça va chier !!!! dont se régalent les BIFFFEURS). Le film dose avec justesse et grâce le mystère, l’approfondissement psychologique des personnages et la peinture des sentiments qui naissent, avec ce qu’il faut d’évocation et de silence, sans tomber dans le cliché de la passion désespérée entre fantômes et vivants.
Axelle Carolyn explique qu’elle trouve les histoires de fantômes très réconfortantes, parce qu’elles permettent à nos morts de garder un pied dans notre monde, avec nous. Soulmate est bel et bien un récit plaisant sur la compagnie des morts, sur le deuil et la consolation, qui joue avec les archétypes du genre pour explorer sur la pointe des pieds le retour d’une jeune femme du côté des vivants.