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    BIFFF 2014 : Interview de Jean-Pierre Jeunet

    Jean-Pierre Jeunet était présent au BIFFF pour y donner une Master Class et être décoré de la Chevalerie de l’Ordre du Corbeau, composée du gratin du cinéma de genre passé par Bruxelles. On se demandait pourquoi était-il venu alors qu’il ne défendait aucun film pour le moment. On se le demande d’ailleurs toujours un peu. Dès le début de l’interview, il montre clairement qu’il n’a plus envie d’être attaqué par la presse et que son principal souci est d’être là pour et avec le public. Ce que nous lui accordons avec grand plaisir ! Pourtant, la couverture du festival a montré que la Master Class ne s’est pas idéalement déroulée et que Jean-Pierre Jeunet a refusé la demande traditionnelle du public de chanter une chanson quand un invité monte sur la scène. Le tout accompagné d’un geste du bras claquant sous l’autre invitant les gens à aller se faire voir. Il a bien sûr eu droit aux huées d’une salle remplie à ras-bord. La venue de Jeunet n’a pas été forcément un succès, il n’avait pas l’air franchement heureux d’être là. Pourtant au milieu de tout le tumulte, il glisse quelques réponses franchement passionnantes.

    Vous venez d’être prévenu que vous allez être Chevalier de l’Ordre du Corbeau ce soir. Que ressentez-vous de recevoir cette récompense ?

    Je panique parce que je n’ai encore rien préparé. Il faut trouver quelque chose à dire et je n’ai pas beaucoup de temps pour trouver une connerie à faire.

    Avez-vous déjà entendu un peu l’ambiance particulière du BIFFF ? Pourquoi avoir accepté une Master Class alors que vous n’êtes pas en tournée promotionnelle ?

    Déjà, le BIFFF, je ne connais pas. Pour les Master Class, je viens d’en faire par exemple six au Brésil. Je fais ça volontiers car j’aime le contact avec le public. Autant ça m’emmerde de parler avec des journalistes comme vous, autant avec le public, c’est sympa.

    Au Brésil, c’était incroyable, d’une densité, d’une chaleur,… Cela durait deux heures, j’en sortais rincé. Ils étaient passionnés et posaient des questions originales. On refusait des centaines de personnes à l’entrée.

    Vous avez un énorme public au Brésil ?

    C’était surtout des jeunes, des étudiants. Il y a aussi le côté un peu midinette de celles qui adorent Amélie. Il y en a une qui est tombée dans les pommes, une qui a un tatouage Amélie, etc. Je ne pouvais pas le croire. Il y en a une, j’ai signé de mon nom et le soir même elle se le faisait tatouer et m’envoyait la photo. Ça fout un peu les jetons. Il y a même aussi une boutique « Je m’appelle Amélie ».

    Dans votre carrière, votre comédien fétiche c’est Dominique Pinon. Qu’est-ce qui fait que lui, vous travaillez à chaque fois avec lui ?

    Tout d’abord, il me surprend à chaque fois donc je ne vois pas pourquoi je m’en passerais ! Ensuite, il a vraiment une tronche ! C’est un peu pour moi le comédien parfait. Au tout début de ma carrière, j’aurais dû tourner un téléfilm avec lui et ça ne s’est pas fait pour des questions idiotes. Ensuite, il a été dans mon premier court-métrage et après c’est devenu une tradition de l’avoir à chaque fois avec moi.

    Vous vous entourez pourtant aussi, au niveau de l’équipe ou des comédiens, souvent des mêmes personnes. Vous avez aussi d’autres fidèles qui sont des « tronches » comme Rufus ou Ron Perlman.

    En fait, j’aurais adoré travailler avec les acteurs d’après-guerre. Je suis un grand fan de Prévert, Julien Carette, Louis Jouvet, … Et mes acteurs fétiches sont les équivalents de ceux-là. De temps en temps, j’en trouve des nouveaux mais je reprends avec plaisir les mêmes.

    Et c’est un besoin de s’entourer de sa famille de cinéma ?

    C’est plus pour l’équipe artistique. Mais malgré que j’ai travaillé avec plusieurs directeurs photos, il y a une continuité dans la lumière, ce qui prouve bien que c’est moi qui donne la direction.

    Vous avez dit dans une interview, que T.S. Pivet, c’est vous. Est-ce que vous amenez toujours un peu de vous dans un personnage de chaque film ?

    T.S. Pivet, c’est effectivement un peu moi, il fait ses dessins dans sa ferme comme moi dans ma maison à la campagne. Il gagne un prix comme j’en gagne parfois. Bon, il prend le train et moi plutôt l’avion. (rires)

    Votre rêve serait de retourner à la campagne, hors du circuit médiatique ?

    Je suis très bien en Provence dans ma maison au milieu de la campagne.

    Vous parlez de dessins, l’animation et les dessins, ce sont justement vos premiers amours. Vous avez envie d’y retourner ?

    Il y a le réalisateur français qui a gagné l’Oscar cette année pour Monsieur Hublot, un court-métrage, qui m’a contacté pour travailler ensemble. Alors on va voir ce que l’on peut faire tous les deux.

    D’ailleurs Mr. Hublot est inspiré d’un personnage belge fait par un sculpteur belge.

    D’accord, je ne savais pas !

    L’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet est votre deuxième expérience américaine…

    Attention ! C’est un faux film américain, c’est un film franco-canadien, supposé être américain mais tourné au Canada. D’ailleurs le seul américain, c’est l’acteur qui joue le gamin. Je n’ai jamais mis les pieds aux USA pendant le tournage. Pendant les repérages à la frontière, j’ai juste mis le pied de l’autre côté. Tout cela m’a permis de garder une certaine liberté, d’avoir le final cut.

    Justement, le Final Cut, vous l’avez eu sur Alien ?

    Evidemment que non ! Mais je me suis débrouillé et je me suis bien entendu avec eux.

    Aux visions-tests, on a appris, par indiscrétion, que dans la salle il y avait le monteur de Star Wars. Donc, ils engagent des monteurs à la retraite qui voient tout de suite ce qui ne va pas. Nous, on était flatté et on a essayé de le joindre et il a été assez embêté qu’on ait essayé de le contacter. Mais parfois les remarques étaient intelligentes, on a aussi appris à écouter.

    Et avec Sigourney Weaver, avez-vous appris quelque chose ?

    Elle m’a dit une phrase que j’ai retenu : « Les problèmes d’argent, tu en entends parler pour le moment, mais tout ce que tu fais est gravé pour l’éternité. »Et donc cela voulait dire, « ne te laisse pas faire par les questions d’argent , car si tu bâcles ou que tu ne fais pas bien les choses, tu le regretteras toute ta vie car ce sera dans le film. »

    J’avais donc une grande liberté artistique mais une grande pression financière. Alors qu’à la base, je pensais le contraire.

    Il y a une grande nouveauté dans votre dernier film, c’est l’utilisation de la 3D. Quel est votre sentiment par rapport à cette technique ?

    C’est la dernière fois car c’est en train de décliner. Ils ne font plus que de mauvaises conversions, d’ailleurs la société de Cameron ne travaille quasi plus qu’en Chine. Plus personne ne tourne en 3D alors que cela coûte moins cher que la conversion.

    Mais pour ce film vous êtes content du résultat ?

    Oui ! Artistiquement, j’adore. Le problème c’est que c’est compliqué et mal montré dans les salles. L’idéal, ce sont les lunettes actives et maintenant ils préfèrent les passives, car les autres coûtent chères à l’entretien, et qu’ils les vendent. Mais c’est de la merde.

    Pourtant pour Pivet, on a fait un truc nickel, on a tout corrigé en post-production, le moindre défaut, parce que quand ça tape dans un seul œil, c’est là où le cerveau explose, que c’est pénible.

    Vous êtes producteur de vos films depuis Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, est-ce important pour vous, cela vous donne-t-il plus de liberté encore ?

    Quelque part j’ai toujours été producteur, je me suis toujours investi dans tous les domaines, y compris la fabrication. Seulement avant ça ne me rapportait rien et maintenant je vois revenir de l’argent quand le film en gagne.

    Dans plusieurs de vos films, les héros ont toujours des petites lubies, des petits moments de bonheur, aiment des petits riens qui embellissent l’existence. Pourquoi ? Est-ce que cela vient de vous ?

    Parce que si tu regardes les infos à la télé, tu te jettes par la fenêtre ! La vie et le monde sont pas toujours très drôles. On va donc se réfugier, trouver du bonheur dans ces petites choses, un rayon de soleil, etc.

    Sinon, tout cela c’est aussi un jeu que j’avais pratiqué dans « Foutaises », un de mes courts-métrages, que je suppose tu n’as pas vu. Regarde-le, sur Youtube, il y en a au moins 15 copies. Le jeu c’était « J’aime » / « J’aime pas ». C’est d’ailleurs Dominique Pinon qui récite. Ensuite c’est un ami, Jean-Jacques Zilbermann (Ndlr : réalisateurs des Fautes d’orthographes en 2004) qui m’a demandé pourquoi je ne présentais pas mes personnages d’Amélie Poulain comme je l’avais fait avec Foutaises. C’est un très bon conseil vu que peu de monde avait vu mon court.

    Pour terminer, avez-vous déjà des projets dont vous pouvez nous parler ?

    On en est aux prémices, donc je ne peux pas en dire grand-chose. On a quelque chose qui tourne autour de l’intelligence artificielle mais je ne peux pas en dire plus.

    Interview réalisée conjointement avec Jean-Philippe Thiriart d’En Cinémascope
    Photo de Jean-Pierre Jeunet réalisée par Simon Vancauteren pour En Cinémascope

    Loïc Smars
    Loïc Smarshttp://www.lesuricate.org
    Fondateur, rédacteur en chef et responsable scènes du Suricate Magazine

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