Sergi Lopez était le président du Jury International au BIFFF. Disponible du premier au dernier jour avec tout le monde, cela valait bien une interview !
Sergi Lopez, comment t’es-tu retrouvé dans cet endroit bizarre qu’est le BIFFF ?
On m’a dit BIFFF et j’ai pensé à un steak ! En fait, on m’a proposé de venir et là c’est bien tombé dans mon agenda. Je ne connaissais pas le festival mais je connais très bien Bruxelles, j’ai des amis ici, ma filleule. Un très bon ami à moi, le réalisateur belge Frédéric Fonteyne, avec qui j’ai travaillé plusieurs fois m’a dit que c’était super, très convivial, avec une super ambiance, une belle équipe. Mais je crois que même si on te le raconte tu es toujours surpris ; pendant la projection j’entendais les gens et je me demandais ce qui se passait, je me disais « ils vont se calmer pendant le film »… Mais non ! Pendant tout le film il y a un risque que quelqu’un fasse une réflexion, souvent drôle, et ça donne une ambiance très gaie, très ludique, c’est génial ! Il y a personne de mieux que les Belges pour ne pas se prendre au sérieux.
Tu avais déjà fait l’expérience d’être membre d’un jury ?
Non, pas beaucoup.
Est-ce que tu regardes le film un peu différemment en tant que membre du jury, est-ce que tu te sens une responsabilité particulière ?
Non, je me sens mieux en me disant que je n’ai pas de responsabilité particulière. Je ne sais pas regarder autrement que je le fais d’habitude, je regarde avec les yeux et quand c’est fini je dis « j’ai aimé » ou « j’ai pas aimé ». Dès le départ c’est impossible de juger un film : toi tu vas adorer, moi je vais trouver ça nul, qui a raison ? Tout le monde a raison. Cette idée elle me plait, de me dire qu’on va pas y arriver, que de toute façon, on va être un jury injuste. Chez les athlètes, on sait que celui qui arrive en premier, c’est le meilleur, mais avec les histoires, les films, les acteurs, les actrices… on peut jamais être sûr.
Il y a des aspects ou des critères auxquels tu es plus sensible dans les films que tu vois ici ? Est-ce que tu es par exemple sensible à l’humour, est-ce que ce sont les personnages qui te touchent ?
Je ne me suis même pas posé la question. Quand j’écris au théâtre je suis plutôt sensible à l’humour mais comme spectateur au cinéma, ça m’est égal. J’ai peut-être même plus de mal avec les comédies. Je crois que tous, on espère voir un truc qu’on n’attend pas. Mais parfois quand tu vois qu’il y a un truc tellement forcé pour faire original, tu te dis « mais sois plus simple » ! Finalement ce qui compte c’est de trouver la sensibilité, de la mise en scène, du talent, une belle histoire.
Et quel est ton rapport avec le fantastique, avec l’horreur ? Est-ce que tu y connaissais quelque chose ?
Non. Le gore, a priori, ça n’est pas spécialement mon truc. Le fait qu’on m’ait choisi ça en dit beaucoup plus sur les gens qui m’ont invité que sur moi, parce qu’ils ont osé inviter un mec qui n’est pas spécialement connaisseur. Déjà en cinéma conventionnel, je ne suis pas très cinéphile. J’ai des copains qui le sont et dans le cinéma il y a plein de gens qui ont tout vu alors que moi, j’aime bien les films mais je n’ai pas une culture très poussée. C’est déjà le cas dans le cinéma conventionnel alors imagine dans le cinéma fantastique !
Et ça fait quoi de te bouffer plein de zombies ces jours-ci, alors ?
C’est bien parce que finalement tu arrives au même endroit, tu attends encore une fois un film qui te surprenne. Qui te cueille, qui t’amène. Même dans la salle avec des gens qui gueulent, qui font des réflexions drôles, on remarque que si le film accroche le public, tout le monde se tait. Même s’il y a des moments qui se prêteraient aux codes du BIFFF, si quelqu’un fait la blague à ce moment-là ça ne marche pas, parce qu’on est dedans.
Est-ce que tu attends d’avoir peur ? Et est-ce que tu as peur devant les films du festival, quelquefois ?
Pas vraiment. Quoique on a vu quelques trucs qui font un peu peur… Mais il y a tellement de codes, tu sens que ça arrive, tu as la musique pour que ça fasse peur : moi, ça ne me fait pas peur ! C’est beaucoup plus effrayant quand il n’y a pas de musique : tu entends un silence et quelqu’un qui fait « ccrrrrrr », tu ne vois pas, mais tu imagines. Cela dit, il y a aussi un plaisir dans ce genre et dans les codes justement ; l’autre jour j’ai vu un Troma (Ndlr : Return to Nuke’em High, vol. 1), on s’éclate, c’est très ludique.
Il y a ce genre de films au BFFFF mais aussi des films plus suggestifs, plus dérangeants psychologiquement. Il y en a que tu as trouvé particulièrement malsains, perturbants ?
Si si, certains trucs, mais pour l’instant je n’ai pas eu le coup de foudre… Je devrais pas dire ça ! Je n’ai pas le temps de voir des films en dehors de la sélection. On s’est dit qu’on allait en profiter pour en voir d’autres mais déjà, on regarde deux films dans la journée, puis on va manger, on parle, on a les interviews… ça suffit !
Comment se passe la journée type du jury ?
On est un jury minimaliste, on est trois. On voit le film ensemble, on prend un café ou on va manger. On est assez souvent d’accord, même si on est différent. Michael (Ndlr : Michael Armstrong, réalisateur anglais) est réalisateur de films d’horreur, c’est un connaisseur et Sam (Ndlr : Sam Louwyck, acteur flamand) aussi, beaucoup plus que moi. Ils ont un discours très riche. Souvent, on est d’accord, après le film on a les mêmes réactions, soit on soupire soit on se dit « hummm….y a un truc ». On le sent ! Le fait que dans le jury on vienne d’horizons différents, c’est très bien. C’est un des trucs sympas, pas seulement du festival ou du jury mais de la vie en général : aller dans un endroit, trouver un espace commun et là rencontrer des êtres différents, qui n’ont peut-être rien à voir avec toi.
Ça t’intéresserait de jouer dans des films fantastiques ?
Je l’ai fait un peu… Harry (Ndlr : Harry, un ami qui vous veut du bien, de Dominik Moll, 2000) était étrange, mais le plus fantastique, même si je jouais dans la partie du film qui n’était pas fantastique, c’était Le Labyrinthe de Pan (Ndlr : film de Guillermo del Toro, 2006). Donc je n’ai aucune appréhension par rapport aux films fantastiques. Ce que je vis c’est un privilège tellement énorme : on m’envoie plus de propositions que ce que je peux physiquement faire. On m’envoie des trucs de partout : de France, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne… On m’envoie de tout, des trucs amateurs, des premiers films … Donc je lis sans a priori sur le genre, ni sur le réalisateur, ni même à la limite sur mon personnage. Ça, c’est quelque chose qui ne m’a jamais touché. Faire un truc que je n’ai jamais faire pour faire un truc que je n’ai jamais fait, jouer toute une palette de personnages différents dans des films que je n’aime pas, par exemple, ça ne m’intéresse pas. Moi, je veux faire des trucs qui sont bien ! Je veux bien jouer toujours le même personnage, mais dans un film qui raconte quelque chose. En quelque sorte, mon ignorance m’a servi pour beaucoup de choses dans mon parcours professionnel. Par exemple le fait de ne pas connaître tel ou tel réalisateur : si on me dit « c’est un scénario de Fffrrauwwel », comme ça ne me dit rien, je lis, et je vois s’il y a quelque chose qui accroche. C’est difficile à expliquer, mais c’est super simple. Même un ignorant comme moi peut le faire.
En somme tu as un rapport au cinéma très direct, presque intuitif…
Oui, par ignorance. Si c’est une actrice que j’admire, un réalisateur que je connais mais que je n’aime pas le projet, je n’y vais pas : être avec une actrice que j’adore, mais dans un film auquel je ne crois pas, ça n’a pas de sens. Mais pour ça il faut avoir le privilège d’avoir le choix. J’ai plein de copains qui aimeraient bien pouvoir seulement jouer dans un film.
Et est-ce que dans ton cas, tu penses que pour préserver ça cette liberté, cette innocence en quelque sorte, il est préférable de vivre un peu en dehors du monde du cinéma, d’avoir un peu de recul ?
Non, je crois que c’est bien de voir des films, de s’inspirer de gens ou de réalisateurs qui font d’autres choses. Même le fait d’être au BIFFF, de voir des films de genre, ce qui n’est pas mon domaine a priori, être là et se laisser prendre par des trucs que tu n’attends pas, c’est bien. Avant le Troma il y avait un court-métrage qui s’appelait Banana Mother fucker, surréaliste, mais vraiment drôle, avec des bananes qui attaquaient les gens. Un truc très enfantin, très joyeux. Donc découvrir des univers, des gens qui font des films que tu n’aurais jamais imaginé, ça c’est bien.
Plus que le monde, je parlais du « milieu du cinéma ». Mais ce « milieu » c’est peut être un truc qu’on fantasme en tant que spectateur.
Ça dépend. Il y a des acteurs qui vivent plus dans le milieu. Moi je vis dans ce milieu quand je travaille : je joue avec une équipe de tournage, on est deux, trois ou quatre acteurs, mais il y a aussi un cadreur, dix mecs à la régie, des nanas, de la déco, toute une équipe. Mais ce n’est pas un milieu social. On croit à un milieu social parce que nous, les acteurs, on nous voit parfois dans les festivals, dans des avant premières,… Mais ça dure un jour, ce n’est pas notre vie. En tout cas, ce n’est pas la mienne. Je vis dans une ville au sud de Barcelone, parmi tous mes amis il n’ y en a pas un qui bosse dans le milieu du cinéma, il y a quelques cinéphiles mais le reste s’y connaît encore moins que moi ! Je ne suis pas du tout dans un milieu de cinéma. Je ne sais pas si c’est bien ou pas mais c’est comme ça.