Interview d’Arnold de Parscau, réalisateur d’Ablations, présenté au BIFFF cette année et son acteur Philippe Nahon, second rôle imparable du cinéma français.
Arnold, c’est ton premier film, ça fait quoi de le voir projeté au BIFFF ?
Arnold de Parscau : Il a déjà été projeté à Gérardmer mais là c’est une immense salle, et puis c’est toujours un peu la première fois. C’est toujours bien de voir sur grand écran un film sur lequel on a tellement travaillé sur de petits écrans de montage…
En le voyant comme ça, est ce que tu en es content ?
AdP : Je suis très content du résultat. Je sais que cela peut plaire ou ne pas plaire mais je pars du principe que si ça me plaît à moi, à mes producteurs, à ceux qui m’ont fait confiance, à mes acteurs et à ceux qui ont participé à l’aventure c’est déjà quasiment pari gagné. Après effectivement, il faut que ça plaise au spectateur.
Philippe Nahon : Je suis aussi satisfait, bien sûr. On attend maintenant la réaction du public en France et à l’étranger, mais il n’y a pas de recette pour que ça marche ou pas.
Arnold, comment t’est venue l’idée du film ?
AdP : Le scénario est de Benoit Delepine, je suis arrivé avec toute l’histoire déjà écrite. Il a écrit ce scénario en sachant qu’il ne voulait pas le réaliser mais l’histoire lui tenait à cœur. C’est une histoire qui lui était arrivée, enfin presque ; en se réveillant un jour, il s’est imaginé ce qui aurait pu arriver. Il voulait un film assez noir contrairement à ses films réalisés avec Gustave Kervern. Il voulait donner sa chance à un jeune réalisateur : quand il avait 25 ans on lui a donné sa chance, on lui a permis de se lancer dans le journalisme. Sur Google il a tapé « jeune réalisateur fan de Lynch » et il m’a trouvé.
C’est toi qui sort en premier si on fait cette recherche dans Google ?
AdP : Oui, car j’ai fait un clip pour Lynch, donc je ressors assez vite et c’est super, je remercie Google pour ça. Benoit a trouvé mes coordonnées, il a regardé le clip et il a bien aimé, on s’est rencontré et il m’a proposé le projet tout de suite. Un an après on tournait.
En quoi dirais-tu que ton film a des accents lynchiens ?
AdP : C’est un de mes réalisateurs préférés mais je voulais pas faire quelque chose à la Lynch, j’y serais pas arrivé de toute façon. Et puis c’est pas intéressant de copier quelqu’un, ce qui est intéressant c’est d’apporter sa propre vision du monde. Vu que je suis influencé par Lynch on peut se dire « tiens ça fait penser à », mais c’était pas mon but. J’aime bien ce qui est un peu étrange, je suis contre le réel au cinéma, j’ai envie de montrer des choses qu’on ne voit pas. Ce n’est pas le cas de tout le monde mais moi j’ai envie de faire sortir, s’échapper le spectateur de ce qu’il voit quotidiennement, avec des choses qui n’arrivent pas dans la réalité.
Cette histoire aurait pu faire l’objet d’un traitement très réaliste, en abordant des thématiques sous un angle plus social voire politique… Ce n’était ni l’angle du scénario, ni le tien ?
AdP : Absolument, ce n’était pas l’approche que Benoît voulait privilégier. Il voulait un truc beaucoup plus sombre, avec des rêves, des hallucinations.
Et tu as été convaincu dès que tu as lu le scénario?
AdP : J’ai adoré l’histoire et j’ai proposé à Benoît de rajouter quelques trucs fantastiques qui n’y étaient pas, comme certains rêves, car c’est vrai que j’avais envie d’aller encore plus loin dans l’étrange.
Selon toi, Ablations est un film qui se rapproche du fantastique ?
AdP : Non, pas vraiment, il n’y a pas de fantastique finalement, seulement des rêves et des hallucinations. La barrière est mince entre le fantastique et les rêves, est ce que les rêves on considère que c’est fantastique ou que c’est réel parce que tout le monde en a ? Je ne sais pas bien. Donc est-ce que c’est simplement un polar ou un drame… En tout cas ce n’est pas un film complètement fantastique car il n’y a pas de surnaturel dans une histoire ancrée dans le réel. C’est un peu entre les deux mais en tout cas, étrange, ça l’est, ça c’est sûr.
A partir du moment ou Delepine t’a contacté comment s’est fait le contact avec les acteurs ?
AdP : Le personnage principal avait été choisi par Benoit, il m’a demandé mon avis et j’ai trouvé que c’était une excellente idée, j’avais trouvé Denis Ménochet très bon dans Inglorious Bastards. Ensuite on a choisi tous les trois, Benoit, Denis et moi, qui on voyait pour les autres rôles. On a trouvé assez vite, on a choisi, on n’a pas fait de casting.
Pourquoi Philippe Nahon ?
AdP : Philippe, j’ai toujours voulu qu’il joue dans mes films ! J’ai réalisé un premier court-métrage à l’ESRA (Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle) et je voulais que ce soit Philippe mais je n’ai pas osé l’appeler. Puis j’ai réalisé Tommy le film qui a été tiré du clip de Lynch et qui a été interprété par Jean Christophe …. Là encore je voulais que ce soit Philippe mais il n’était pas disponible. Je me suis dit : « à charge de revanche »…
Et pourquoi lui ?
AdP : Parce que c’est Philippe Nahon !
Philippe, comment as-tu reçu le scénario de ton côté ?
PN: Très bien, ça m’a inspiré immédiatement. Ce personnage m’a attiré tout de suite et j’ai dit banco. Et jouer avec Yolande (Moreau) c’était la cerise sur le gâteau.
Il y dans Ablations des côtés décalés, drôles, mais ce n’est pas non plus ce qui ressort le plus, on est entre différentes tonalités. A la lecture du scénario, quelles ont été vos premières impressions ? Est-ce que cela vous a fait rire ? Est-ce que vous l’avez trouvé inquiétant ?
PN : Je ne l’ai pas trouvé inquiétant, ça m’a fait rire…
AdP : C’est pas vraiment inquiétant ; finalement on se demande qui sont ces deux mecs qui ont un look complètement décalé et jusqu’où ils vont aller. Ils ne font pas peur et on n’a pas envie qu’ils fassent peur. C’est plutôt de l’étrangeté. On se demande qui sont tous ces mecs, ce qu’ils font, tout le monde est taré !
Ce personnage on le voit dans sa quête, très individuelle, mais on a très peu de choses sur ses émotions, ses sentiments … Il y a peu de développements très psychologiques alors que l’histoire aurait pu s’y prêter.
AdP : C’est un personnage qui intériorise beaucoup, j’avais pas envie qu’on explique pourquoi il veut retrouver son rein. En fait on le sait jamais, c’est ça qui est rigolo.
C’est aussi un personnage qui parle peu.
AdP : Bien sûr, c’était important pour moi de montrer que tout se passe à l’intérieur de lui : il en parle à personne, ni à la police ni à sa femme, juste à sa maîtresse parce qu’il sait qu’il peut en tirer quelque chose, il n’explique jamais le pourquoi de sa quête et c’est ce ce qui m’a attiré. Mais il le veut à tout prix, son rein, il gâche sa vie pour le retrouver ça mais c’est un but un peu étrange parce qu’à la limite même s’il l’avait retrouvé qu’est-ce que qu’il en aurait fait ? Rien. Il le veut parce que c’est une partie de lui et il ne supporte pas qu’on lui vole une partie de lui, c’est quelqu’un qui est égoïste, pas facile à suivre par certains côtés…
PN : oui, il est pas sympa avec ses mômes…
AdP : On veut pas en faire quelqu’un de sympa, on veut montrer qu’il est perturbé et qu’il est prêt à aller jusqu’au bout pour se retrouver lui.
Vous aviez la volonté de pas vous perdre dans quelque chose qui serait trop dramatique, par exemple autour de ses relations avec sa famille ?
On ne voulait pas être trop dans l’explicatif. C’est plus dans l’ambiance que dans les explications narratives que je voulais que les choses se développent.
Pour les personnages qui pratiquent les ablations, c’est un peu pareil, on a quelques explications à la fin mais ça reste énigmatique.
AdP : On découvre pourquoi ils font ça à la fin mais Benoît voulait que ça reste le plus possible énigmatique. Ça ne l’intéressait pas d’aller dans le schéma classique, du genre il a fait ça pour telle ou telle raison…
PN : il a envie de pratiquer.
AdP : Mais pourquoi, on s’en fiche. On ne voulait pas qu’on puisse tout savoir de tout le monde. A la limite on a envie qu’on a ne sache rien et que le spectateur invente les motivations des personnages,, se fasse sa propre idée d’eux.
Le caractère hallucinatoire de certaines scènes, ça t’est venu en lisant le scénario ?
AdP : Il y avait déjà ça dans le scénario et je voulais aller plus loin. La seule manière de sortir du réal dans ce genre de film c’est d’être dans les rêves et des hallucinations. Sinon on est dans le fantastique, j’aurais pu faire bouger des choses, mettre des fantômes…mais c’était pas le sujet et je n’avais pas. Avec le personnage principal c’était entièrement le sujet puisqu’il se drogue avec des médicaments dont on ignore la consistance pendant tout le film, parce qu’on sait qu’il ne va pas bien.
Pour de prochains films, as-tu envie de rester dans cette atmosphère un petit peu décalée, étrange, noire ?
AdP : Bien sûr. Mais après je n’ai pas envie d’aller dans l’étrange à outrance non plus. C’est un genre qui en France ne marche pas très bien donc on peut le faire quitte à se planter, mais pour moi ce n’est pas forcément un genre de prédilection. En revanche ce que j’aime bien et où j’ai envie de rester c’est le polar, les choses énigmatiques, un peu symboliques.
Pourquoi le public français, à votre avis, n’est pas forcément réceptif au fantastique, à l’étrange ?
AdP : Je ne sais pas si c’est le public ou si c’est la promotion : les rares films fantastiques français sortent dans si peu de salles qu’on ne peut pas les voir. Comme disait Philippe 10 euros c’est une grosse somme pour beaucoup de gens, ils vont voir des choses qu’ils sont sûrs d’aimer.
PN : ils vont au cinéma pour se détendre, pour rigoler… Les gens vont vers la simplicité plus que vers l’intellect, vers ce qui est accessible.