Titre : Bienvenue au conseil de surveillance
Auteur : Peter Handke
Editions : Christian Bourgois
Date de parution : 1er juin 2023
Genre : Nouvelles
Bienvenue au conseil de surveillance. N’ayez pas peur, prenez place. Ou plutôt si, frémissez ! Vous n’avez plus le choix, il faut entrer. Et quand les portes, sur vous, se sont ouvertes, vous n’êtes plus en mesure de reculer. Pire, vous devenez acteur de toute l’ignominie à laquelle vous vous apprêtez à assister. Ici, le lecteur passif n’existe pas. Au propre comme au figuré. De l’une, parce que l’écriture expérimentale de Peter Handke vous oblige à rester concentrés. Mais surtout, parce qu’il vous prend à partie. Parfois, il invective à la deuxième personne du singulier. Ou alors, il vous immerge dans la tête fêlée de son triste sir. Et puis en dernier recours, il dissèque avec force détails chaque geste d’une situation. Toute astuce est bonne à prendre pour obliger le lecteur à assister, même à contribuer, au pire.
Car c’est bien du pire dont il est question. Le livre se divise en saynètes qui se partagent la lourde responsabilité de portraiturer le mal dans ce qu’il a de plus répugnant. Meurtre involontaire d’un enfant, pendaison, loi martiale. Meurtre involontaire de plusieurs enfants. Les choses se corsent. Et pourtant, personne n’a vraiment l’air d’être coupable. Pour beaucoup, ces personnages traînassent, les bras ballants, lassés de leur propre destin. Finalement, ils ne paraissent pas moins innocents que le lecteur, car le mal qu’ils reproduisent est celui d’une société. C’est ce que semble nous dire sagement Peter Handke, Prix Nobel de littérature et enfant de la guerre.
De Kafka, on retrouve le fatalisme comme objet de lutte. Les textes édités par Christian Bourgeois datent tous des années soixante, période marquée, dans la vie de l’auteur, par un fort rejet des conventions littéraires. Kafka, mais pas que. Il y a du Beckett dans ces nouvelles qui semblent être le décor d’un théâtre de l’absurde, déraisonnablement violent. Les pièces s’assemblent ; l’implication du lecteur cadre bien avec le côté théâtral de cet univers. Peter Handke cherche de nouvelles manières de provoquer, d’intimider, d’enflammer. Il laisse aller sa plume sans trop la guider. Sans trop la limiter. Théoriquement, c’est révolutionnaire. Et puis, c’est aussi très bien appliqué. On ne peut nier les qualités littéraires d’une telle entreprise. Mais dans la forme, c’est plus compliqué. En tout cas, pour le lecteur. C’est un chef-d’œuvre à étudier en cours de français, plus qu’un roman grand public. Il faut savoir lire entre les lignes, connecter les informations et ne pas se laisser déconcerter par l’originalité de l’écriture. En bref, il faut savoir s’accrocher et entrer au conseil de surveillance dans les conditions adéquates.