Beetlejuice Beetlejuice
Réalisateur : Tim Burton
Genre : Comédie, Fantasy, Horreur
Acteurs et actrices : Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega
Nationalité : USA
Date de sortie : 11 septembre 2024
Trente-cinq ans après les événements de Beetlejuice, la mort soudaine de son beau-père contraint Lydia Deetz, présentatrice star d’une émission de téléréalité paranormale, à revenir dans la petite ville de Winter River. Froissée avec sa fille adolescente Astrid, qui porte le deuil de son père et ne croit pas aux fantômes qui ont fait la renommée de sa mère, Lydia va devoir affronter la figure de Beetlejuice qui la hante.
Autrefois porté aux nues par la critique comme par le public, il y a maintenant bien longtemps que Tim Burton n’est plus que l’ombre de lui-même. À la fin des années 2000, le cinéaste américain se perd dans des projets médiocres, alternant remakes dévitalisés de classiques Disney et films singeant l’esthétique gothique qui fit sa notoriété. Visiblement en panne terrible d’inspiration, l’Américain semblait condamné au désamour définitif d’un public laissé sur le carreau d’une œuvre s’étant progressivement changée en marque. Néanmoins, l’annonce d’une suite longtemps différée à Beetlejuice (1988) sonnait comme la promesse, trente-cinq années plus tard, d’un retour aux fondamentaux : humour transgressif, tendresse pour les marginaux et un goût pour l’artisanat.
En trente-cinq années, que s’est-il passé pour Tim Burton, lui qu’on louait pour son amour des monstres, son aversion pour la norme qu’il s’évertuait à filmer depuis la marge. Comparer ce Beetlejuice 2.0 à son aîné est édifiant : la satire des élites bourgeoises, parfaitement à propos dans l’Amérique des années 1980, laisse place à une myriade de discours sociétaux tous plus consensuels les uns que les autres. Fustigeant les réseaux sociaux et ses vilains influenceurs, caricaturant l’art contemporain avec la finesse d’un stand-upper en fin de carrière, Burton brosse l’époque avec un humour qu’il aimerait subversif, mais qui est en réalité tout le contraire. Cœur émotionnel du récit, la relation dégradée entre Lydia Deetz (Winona Ryder) et sa fille Astrid (Jenna Ortega) sera bien évidemment restaurée, réaffirmant au passage la valeur suprême de la famille. Même son personnage éponyme, obsédé sexuel à la vulgarité crasse, est ici passé en machine. Fini les mains baladeuses (Burton est woke, il vit avec son temps), terminé les injures : la seule insulte prononcée est masquée par un bip sonore – comme confession d’une transgression revendiquée mais factice, on n’a pas fait mieux.
Mais, pire encore que cet esprit rebelle de pacotille, c’est l’errance artistique du cinéaste qui fait peine à voir. Le premier film avait pour lui sa facture artisanale désuète : un bricolage qui fleurait bon la pâte à modeler et le latex, manière toute personnelle de résister aux normes en convoquant l’art de Ray Harryhausen, donnant à ses scènes l’apparence des cauchemars enfantins. Si dans ce nouvel opus le réalisateur délaisse (un peu) les effets numériques qui ont dévoré son cinéma au profit de techniques surannées, il le fait moins depuis le terreau créatif de l’enfance que de la devanture de sa boutique griffée 80s (Burton est vintage, il vit avec son temps). Transformé en centre de recyclage paresseux, le film se révèle indigent à la moindre de ses idées neuves – et il n’y en a pas beaucoup. Mention spéciale au quai de gare du « soul train », navette expédiant les morts dans le grand au delà, forcément bondé d’Africains-américains qui dansent sur… de la soul.
Décidément, cette cuvée Burton 2024 semble s’accommoder en tous points aux attendus d’un divertissement hollywoodien inoffensif. Mais, à bien y réfléchir, cela n’a-t-il pas toujours été le cas ? L’auteur d’Edward aux mains d’argent (1990) a-t-il vraiment jamais évolué à la marge ? Rappelons que le natif de Burbank, quartier général des studios Disney, a justement commencé sa carrière au sein de la firme aux grandes oreilles. Malgré des débuts difficiles, le cinéaste s’est finalement très bien coulé dans le moule de l’usine à rêves puisqu’à l’exception de deux ou trois films, l’entièreté de son œuvre fut réalisée au seins des majors. Un exemple qui en dit long : renvoyé par Disney en 1984 pour son court-métrage Frankenweenie jugé trop sombre, il y sera accueilli à bras ouverts en 2012 pour son adaptation en long-métrage. Loin d’un marginal passé au travers des mailles du système, Burton est plutôt l’agent d’une hallucination collective due à des talents de direction artistiques évidents, visiblement suffisants pour pérenniser une carrière de réalisateur plutôt médiocre prise dans son ensemble. Son parcours est étrangement similaire à celui de Lydia dans Beetlejuice Beetlejuice, ado rebelle d’un jour ayant bien compris que le gothique et les fantômes font vendre, et qui capitalise donc naturellement dessus dans un show télé, lui aussi, sans âme.