Les 15 et 16 novembre prochain, le Ballet de Madrid Victor Ullate se produira sur la scène du Cirque Royal pour un hommage exceptionnel à Maurice Béjart.
Víctor Ullate se propose de faire « un pont entre le public traditionnel du ballet et l’autre qui s’oppose à tout ce qui est établi, par l’intermédiaire de la danse ». De l’esthétisme immaculé de Balanchine à la noire inspiration sévillane, le Ballet de Madrid montre comment la fougue espagnole peut apprivoiser l’académisme classique.
Rencontre avec le grand Victor Ullate.
______
Votre compagnie s’appelle Victor Ullate Ballet si je ne me trompe pas. Comment a t-elle été créée ?
La compagnie a été créée en 1988 lorsque j’ai quitté Béjart. J’ai créé le Ballet National d’Espagne. Après 3 ans et demi, j’ai du quitter l’Espagne à cause d’un changement de gouvernement. Je suis revenu en Belgique pour travailler avec Maurice pendant quelques temps. Mais j’ai décidé de repartir à Madrid. Selon moi, mon devoir était de retourner dans mon pays pour créer une grande école.
De cette école sont sortis les meilleurs danseurs d’Espagne. Par exemple, Tamara Rojo. Elle a été la première danseuse du Royal Ballet. Elle est maintenant la directrice de l’English National Ballet. Joaquin De Luz, lui, est le premier danseur du New York City Ballet. Lucia Lacarra est la première danseuse de Munich. Il y a plein de grands danseurs dans le monde qui sont sortis de mon école. Avec ces gens-là, j’ai créé une compagnie. Aujourd’hui, elle est internationale. Il y a énormément de nationalités différentes car beaucoup de gens veulent travailler avec moi. Il y a une Chinoise, une Japonaise, une Française, un peu de tout.
Combien y-a-t-il de danseurs en tout ?
23.
Parlez-nous du spectacle que vous êtes en train de préparer ?
C’est un spectacle que l’on a créé pour fêter le 25ème anniversaire de la compagnie. Il se compose de quatre parties. J’avais fait à l’époque Jaleos, un ballet avec le rythme d’une buleria. Vous savez : « Uno, dos, tres, cuatro, cinco, seis, … » (Il tape en rythme avec son pied). C’est un ballet de style flamenco, avec la technique classique et le mouvement du contemporain. Cette manière de mélanger les styles me caractérise comme chorégraphe.
Ensuite, il y a Y. C’est une chorégraphie à pas de deux sur le Compagnon Errant de Mahler. La chorégraphie est d’Edouard de Lao, le directeur artistique de la Compagnie. Il a été l’un de mes élèves. Il faisait partie de la première génération de danseurs et sa carrière a été brillante. Il y a dix ans, j’ai eu deux attaques au cœur et c’est lui qui a repris la maison. Malgré que je sois toujours là, c’est lui qui dirige maintenant. Y est donc son Ballet. C’est très beau.
Il y a aussi Après toi, en hommage à Maurice qui est mort mais toujours présent. Il m’émeut beaucoup. Ils ont choisi la musique du 2ème mouvement de la 7ème de Beethoven. Après toi est basé sur toutes mes années avec Maurice, sur mes sensations, etc. Le danseur y incarne mon image lorsque je dansais avec Maurice.
Et puis il y a Boléro. Tout le monde connaît le Boléro de Maurice Béjart. Je ne voulais évidemment pas que le mien soit le même que celui de Maurice. J’ai recherché comment Ravel avait trouvé l’inspiration pour créer son Boléro. En réalité, cela s’est passé quand il était en Espagne avec Madame Nijinska (Bronislava Nijinska, danseuse et chorégraphe de ballet russes, ndlr). Ils ont été voir un spectacle dans un cabaret.
Alors mon Boléro c’est cette entrée au cabaret avec plusieurs types de personnes : des homosexuels ou non. Ravel et Madame Nijinska rentrent dans le cabaret. Ils s’assoient et regardent le show. C’est-à-dire le couple qui danse et interagit avec les autres spectateurs. La musique c’est El manisero de La Argentinita. L’Argentinita est une chanteuse et danseuse des années 20 qui a eu beaucoup de succès.
C’est presque du théâtre…
C’est un théâtre dans un théâtre. Ça a beaucoup de succès parce que ça change. Ça a un côté théâtral et très sensuel.
Vous dites qu’aujourd’hui c’est « Eduardo Lao qui dirige la Compagnie ». Quel est alors votre rôle au sein de celle-ci ?
J’y travaille toujours mais j’ai surtout une fondation. J’aide les jeunes qui n’ont pas la possibilité de payer leur étude. Il y a une trentaine d’élèves. Avant ça, j’ai aussi travaillé avec des garçons abandonnés par leurs parents. Ça a donné de beaux résultats. La Fondation fait beaucoup de choses.
Je m’occupe de la Fondation, de l’Ecole et aussi de la Compagnie. J’ai créé le ballet l’Amour Sorcier pour celle-ci. Mais le quotidien, la lutte avec les danseurs, tout ça, c’est Eduardo qui dirige.
Le spectacle a déjà été joué ailleurs ?
Oui, en Espagne et en France.
Il est présenté comme est un hommage à Maurice Béjart. Quel lien vous relie tous les deux ?
J’ai travaillé avec lui pendant 14 ans. J’étais l’un de ses premiers danseurs. Il a créé plusieurs choses avec moi. La plus grande pièce a été la Gaieté Parisienne où j’ai incarné Béjart quand il était jeune. Ça raconte l’histoire de sa vie. Cela m’a apporté une reconnaissance dans le monde entier. Finir ma carrière avec la Gaieté Parisienne a été, pour moi, bien plus que je n’aurais jamais pu imaginer.
Vous aviez quel âge à cette époque ?
31 ans.
Vous dites que Maurice Béjart a changé la conception de la danse. Pourquoi ?
Maurice a changé la conception de la danse pour les hommes. Ils ont pris de l’importance grâce à lui. Les hommes étaient normalement derrière la danseuse pour la soutenir. Grâce à Maurice, l’homme a pris l’importance qu’il mérite. Par exemple, il a créé le Sacre du Printemps. C’est surtout un chorégraphe pour les hommes.
Y-a-t-il autant d’hommes que de femmes dans votre spectacle ?
Oui. La compagnie compte 23 personnes et il y a autant de danseurs que de danseuses.
Pourquoi avez-vous eu l’envie de mêler la danse classique et la danse traditionnelle espagnole ?
Disons que chacun a son style. Par exemple Dali, Picasso ou Miró, ils ont chacun leur façon de peindre, leur structure, leurs couleurs. Dans la danse, Béjart a apporté beaucoup grâce à sa personnalité. Mais ce n’est pas le seul. Balanchine aussi ou c’est encore le cas aujourd’hui avec certains chorégraphes contemporains. Chaque chorégraphe doit avoir sa personnalité.
Mes débuts je les ai fait avec le grand Antonio (Ruiz Soler ndlr), le danseur de flamenco. Je dansais avec des castagnettes. J’ai été dans cette compagnie pendant trois ans, je connais à fond la danse espagnole. Puis, j’ai dansé avec Maurice, ça m’a aussi beaucoup appris.
C’est comme Mahler qui était le disciple de Wagner. Il a pris beaucoup de lui sans pour autant l’imiter. Il y a une influence, un enrichissement. J’ai mis ma propre personnalité dans la danse comme dans Jaleos ou dans Seguiriya. Ce sont des ballets qui ont une connotation espagnole. On y trouve notre façon de faire, nos accents. La première de Jaleos a eu lieu à New-York, ça a eu un succès fou. On l’avait laissé tombé, mais on le reprend pour le 25ème anniversaire de la Compagnie.
À côté de ça, j’ai aussi fait d’autres choses : des ballets comme Wonderland ou Samsara. Le premier se passe dans un hôpital psychiatrique, l’autre est un voyage pour l’Orient. Je l’ai réalisé lorsque je venais de me faire opérer à cause de mes attaques au cœur.
Avez-vous des projets pour la suite ?
Après le Cirque Royal, on va à l’Opéra de Marseille. On joue dans plusieurs villes en France. En décembre, on fait la première de l’Amour Sorcier de Manuel Falla. Falla a créé ce ballet il y a 100 ans. On le recrée avec Estrella Morente, une chanteuse que j’aime beaucoup.
Je reprends aussi El Sur que j’ai créé en 2005. C’est inspiré de Yerma de Lorca (Federico García Lorca, ndlr). C’est l’histoire d’un mari qui maltraite sa femme. Celle-ci flirte alors avec un autre homme. Cela se termine par une mise à mort. C’est une histoire dramatique mais aussi très espagnol, en hommage à Enrique Morente.
Propos recueillis par Mathilde Schmit
Plus d’infos :
http://www.victorullateballet.com/
http://cirque-royal.org/activite/victor-ullate-ballet-madrid-16112014